vœux à la presse 2024

Le 31 janvier refermera la période de présentation des vœux pour l’année 2024. Vœux à la population, vœux aux forces vives, vœux au personnel… Partout dans le monde, ceux qui exercent la responsabilité de gérer un territoire au nom des citoyens ne manquent pas d’occasions de faire connaître leurs engagements pour les mois à venir, et promouvoir le bilan de leurs actions des mois passés. Dans ce concert, les vœux à la presse ne manquent pas d’intérêt.

En Guadeloupe, le président du Département Guy Losbar a adressé ses vœux à la presse le 11 janvier à la résidence départementale au Gosier non sans rappeler selon Karibinfo « les relations cordiales existant entre les médias et le conseil départemental ». Le maire des Abymes Éric Jalton, clôt la saison par un « traditionnel dîner de vœux à la presse » qui se tiendra jeudi 25 janvier au restaurant Le bakwa à Belle plaine aux Abymes.

Votre serviteur n’est pas parmi les plus assidus à ces rendez-vous. Mais les discours qui y sont tenus méritent d’être salués et de vous être rapportés. Sachez que chacun des élus se dit très attaché à « la reconnaissance du rôle essentiel que joue la presse dans une société démocratique ». Ils prônent la « liberté de la presse ». Mais il est difficile d’ignorer que cette liberté est constamment remise en question.

Les pressions politiques et économiques, les menaces et la censure sont des pratiques constantes en Guadeloupe. Ce qui met en lumière un écart abyssal entre la rhétorique et la réalité. La liberté de la presse ne peut se limiter à un slogan vide. Ce fleuron indispensable à la démocratie doit être constamment défendu par des actions tangibles afin de garantir un quatrième pouvoir indépendant et robuste.

Dans le discours qu’il avait préalablement préparé et qui a été transmis à la presse avec la mention « seul le prononcé fait foi », Guy Losbar prévoyait de mettre en garde « contre le sensationnalisme et la nécessité de maintenir l’éthique journalistique ». Soit. Mais qui décide de ce qui est sensationnaliste ou éthique ? La nécessité d’une régulation claire et transparente est indispensable afin d’éviter toute instrumentalisation de ces notions au détriment de la liberté d’expression.

Dans ce même texte prévisionnel, Guy Losbar rendait hommage à Mario Moradel décédé en 2022. C’est une attention délicate. Mais Mario Moradel était propriétaire d’une télé privée locale. Le dirigeant du média ETV n’était pas journaliste.

Ne pas distinguer les deux fonctions peut déjà être préjudiciable à la liberté de la presse. La relation souvent complexe entre dirigeants de média et journalistes ne peut pas être passée sous silence. L’interview le 8 décembre dernier de Jordan Bardella, président du parti d’extrême droite Rassemblement national, sur la radio locale RCI par Barbara Olivier-Zandronis, en est une parfaite illustration.

Arguant d’un « problème de ton » et d’un « problème technique interne » Hervé de Haro, directeur délégué de la radio, a infligé une sanction à la journaliste en CDD depuis septembre au moyen d’un retrait de la présentation des journaux de 13 heures le week-end.

Hervé de Haro qui en octobre 2018 soutenait au sujet de la radio France bleue Alsace qu’« une vraie radio locale c’est celle qui colle à son public et qui ressemble à son public » reproche à Barbara Olivier-Zandronis d’avoir mené cette interview avec trop « d’agressivité », reprenant à son compte l’argumentaire de Jordan Bardella qui à l’antenne avait dit à son interlocutrice « vous m’agressez depuis à peu près neuf minutes en faisant les questions et les réponses. » Cette analyse de Jordan Bardella n’a été reprise par aucune rédaction en dehors de RCI et du titre d’extrême droite Valeurs actuelles qui évoque « une interview à charge ».

Une pétition a été lancée et recueille ce 22 janvier 42 389 signatures en soutien à Barbara Olivier-Zandronis, et au-delà d’elle à la liberté de la presse. Barbara Olivier-Zandronis a-t-elle collé à son public et ressemble-t-elle à son public ? A-t-elle fait valoir une position politique droit-de-l’hommiste qui reflète ses convictions personnelles au détriment de la ligne technique et éthique de son employeur ? Chacun se fera son opinion.

En revanche il nous apparaît clairement que contrairement à ce qu’affirme Hervé de Haro, il s’agit bien d’une sanction. Une suspension d’antenne, en ce qu’elle interdit au journaliste concerné de passer à l’antenne et de présenter les émissions dont il est normalement en charge peut s’analyser comme une rétrogradation et donc une sanction disciplinaire. L’intéressée ne s’en est pas remise aux valeurs de l’État de droit pour faire trancher par la justice le différend qui l’a opposée à son employeur. Barbara Olivier-Zandronis s’en est allée et a fait savoir via X qu’elle refusait d’officier à RCI.

Au final l’histoire retiendra qu’Hervé de Haro a associé à sa sanction la directrice générale du groupe RCI, Alexandra Élizé, la rédaction de RCI Guadeloupe à travers son rédacteur en chef Christophe Langlois, les rédacs chefs adjoints Eddy Planté et Richard Garnier, la cheffe d’édition Olivia Losbar. Ils étaient selon lui tous en accord avec la sanction.

L’histoire retiendra aussi qu’Hervé de Haro promeut à RCI Guadeloupe la culture d’un journalisme exercé avec « pugnacité et avec déférence » comme il l’a expliqué au micro de Canal 10. Rappelons que déférence se définit comme la « considération respectueuse à l’égard d’une personne, et qui porte à se conformer à ses désirs et à sa volonté ». En somme, « oui bwana »…

Eh bien non ! Indignons-nous fortement qu’un dirigeant de média impose une telle doctrine à des journalistes. L’objectivité totale des journalistes est un but impossible à atteindre. Seule la pluralité des médias, à condition que leurs contenus dédiés à l’information soient substantiels et animés par de vrais journalistes, concourt à la bonne information du public, à la pluralité d’opinion, garantit la liberté d’expression et préserve l’équilibre dans une société démocratique.

Le chemin qui mène à une société guadeloupéenne où la presse libre et forte et nombreuse serait la norme, est encore bien long. Que des élus lui accordent leur attention le temps d’un cocktail ou d’un dîner de vœux à la presse est de bon augure. Mais vivifier la presse nécessite des mesures concrètes, au premier rang desquelles s’informer au moyen de médias professionnels et s’interdire toute pression politique ou économique en représailles d’une diffusion qui déplaît à untel ou telle autre.

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