Sur le parvis du Mémorial Acte à Pointe-à-Pitre, la petite foule d’environ 400 personnes a réservé un accueil chaleureux à l’enfant prodige du pays Marie-José Pérec, arrivée avec la flamme olympique en Guadeloupe le 15 juin 2024 sur le maxi trimaran Banque populaire. Photo : Gilles Morel / Sipa / 2406151703

Après un mois à sillonner l’Hexagone, la Flamme olympique des JO de Paris 2024 a été projetée dans le Relais des océans au départ de Brest (Bretagne) le 7 juin. Elle est arrivée à Pointe-à-Pitre samedi 15 juin à bord du maxi-trimaran Banque Populaire XI, l’un des bateaux les plus rapides et performants du moment, concentré de technologies et d’innovations.

Parmi le public qui a fait le déplacement au Mémorial acte, certains étaient là depuis 5 h 30 du matin « pour voir Marie-José Pérec » comme le confie ce pêcheur admiratif devant l’émotion de celle « qui n’est pas marin et vient quand même de passer 10 jours en mer ».

Marie-José Pérec, première relayeuse de la flamme olympique arrivée en Guadeloupe sur le maxi-trimaran Banque Populaire le 15 juin. Photo : Gilles Morel / Sipa / 2406151702

Sur le parvis du Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage, la petite foule d’environ 400 personnes a réservé un accueil chaleureux à l’enfant prodige du pays, triple médaillée d’or aux Jeux olympiques, actuelle détentrice des records de France du 200 et 400 mètres, et figure de proue de l’excellence sportive guadeloupéenne.

Le soir au Vélodrome à Baie-Mahault, interrogé sur la traversée de l’Atlantique et l’arrivée en Guadeloupe, Alexis Michalik metteur en scène aux trois Molières, confie avec le sourire avoir bien compris que le public était venu célébrer Marie-Jo et que les cinq autres membres d’équipage (les éminents skippers Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse, Hugo Roellinger chef cuisinier doublement étoilé, Marine Lorphelin ex-miss France, médecin et ambassadrice du Relais) étaient moins attendus et acclamés.

Ce sentiment de « pas assez » acclamé exprimé sur le ton de la plaisanterie par Alexis Michalik, est le marqueur de cet événement tout au long de la journée.

L’élite du sport

Avec 114 olympiens (athlètes qualifiés aux Jeux olympiques) et 60 médailles remportées, la Guadeloupe est le numéro un mondial de l’olympisme. C’est cette qualité d’élite sportive capable d’assurer le rayonnement et le prestige de la France grâce à un réservoir d’athlètes performants qui a pesé dans la décision de « ramener la flamme à la maison » selon l’expression de Marie-José Pérec.

Premier mondial en termes de médailles par habitant avec 15,2 médailles pour 100 000 habitants. La Guadeloupe fait trois fois mieux que la Suède et ses 503 médailles, soit 4,8 médailles / 100 000 habitants. Le territoire devance 10 grandes nations de l’olympisme (graphique ci-dessous).

Premier mondial en termes d’olympien par habitant avec 28,8 olympiens pour 100 000 habitants. L’archipel devance à nouveau la Suède et ses 3 000 olympiens soit 28,6 olympiens / 100 000 habitants, ainsi que l’Australie et ses 2 800 olympiens, soit 10,8 olympiens / 100 000 habitants.

Classement des pays ayant remporté le plus de médailles aux Jeux olympiques (jusqu’à Tokyo 2020) en tenant compte de la population et du nombre total de médailles. © Le Courrier de Guadeloupe

La Guadeloupe fait également mieux que les petits pays par la taille de leur population, forts en olympisme. Elle est sept fois plus performante que Cuba, ses 241 médailles, 11,3 millions d’habitants, soit 2,1 médailles / 100 000 habitants. Idem pour la Jamaïque, ses 2,9 millions d’habitants, 87 médailles jusqu’aux jeux de Tokyo en 2020, soit 3 médailles / 100 000 habitants. Idem pour l’Estonie, 1,3 million d’habitants, 41 médailles (incluant les résultats obtenus avant l’indépendance en 1991, alors que les athlètes estoniens concouraient pour l’Union soviétique), soit 3,2 médailles / 100 000 habitants. Ou encore les Bahamas, 400 000 habitants, 16 médailles, soit 4 médailles / 100 000 habitants.

L’histoire de la Guadeloupe olympique est retracée dans une brochure éditée en 2008 par le conseil régional. Le président d’alors, Victorin Lurel, y voit un support de nature à « accompagner les Guadeloupéens dans leurs recherches identitaires, dans une meilleure connaissance de leur passé afin d’associer leurs convictions citoyennes. » Le document retrace le parcours d’Edmond Roger Maurice Carlton, né à Saint-Claude en 1913, émigré dans le sud-ouest de l’Hexagone à 9 ans. C’est le premier guadeloupéen olympien.

Edmond Carlton prend part aux Jeux de Berlin en 1936 alors que l’Europe est en pleine montée du racisme, l’Allemagne en plein nazisme, et que des voix haranguent que « les nègres n’ont rien à faire aux olympiades ».

C’est Roger Bambuck, né en 1945 à Pointe-à-Pitre, qui remporte la première médaille olympique guadeloupéenne, le bronze, au relais 4 x 100 m des JO de Mexico en 1968.

Des présentoirs exposés au Mémorial acte le 15 juin présentent les grands noms médaillés olympiques guadeloupéens (photo ci-dessous).

Kakémono de présentation de médaillés olympiques guadeloupéens réalisé par le ministère des Armées, exposés le 15 juin au Mémorial acte à Pointe-à-Pitre. Photo : Le Courrier de Guadeloupe

Pas assez sportif

Ce n’est pourtant pas cette prouesse particulière qui a été célébrée. Les organisateurs locaux (la préfecture, la Région, le Département, la ville de Baie-Mahault) ont opté pour « l’expression de la tradition » fortement incarnée par des groupes carnavalesques. Une quinzaine de musiciens de Mas ka klé s’est produite au Mémorial acte à Pointe-à-Pitre en ouverture des festivités le matin.

Une quinzaine de musiciens de Mas ka klé assure l’animation organisée pour l’accueil de la flamme olympique à 7 heures le 15 juin au Mémorial acte à Pointe-à-Pitre. Photo : Le Courrier de Guadeloupe

Une vingtaine de musiciens de MKM a joué au Creps aux Abymes à midi. Une trentaine de musiciens et danseurs de Guimbo all stars s’est exprimée en fermeture au Vélodrome à Baie-Mahault le soir. Un choix carnavalesque, pas assez sportif de haut niveau.

Quant à la « recherche de la tradition », elle apparaît rabougrie avec la part belle faite au carnaval. D’autant que le patrimoine culturel immatériel de la Guadeloupe compte 344 éléments selon un inventaire dressé en 2020 sous l’impulsion de la préfecture et du conseil régional de Guadeloupe.

Des étoiles enjouées

Au Creps où certaines jeunes étoiles du sport guadeloupéen s’entraînent, un public d’environ 200 personnes a répondu présent. Les 167 collégiens et lycéens athlètes de la cité scolaire d’excellence sportive et leurs deux invités étaient conviés à côtoyer de près la flamme, et Marie-José Pérec. Les élèves qui ont formé une haie d’honneur pour les relayeurs se sont montrés en majorité très enjoués.

Relayeuse de la flamme olympique au Creps Guadeloupe, le 15 juin aux Abymes. Photo : Gilles Morel / Sipa / 2406161140

La jeune Hélène, championne d’Europe de Jujitsu U18, s’est dite convaincue que cet événement est « très bien pour le sport », tout en reconnaissant qu’il ne la motive pas plus que cela car elle n’est « pas intéressée par une participation aux Jeux olympiques ». Le jeune Mathis, judoka, a pour sa part confié qu’un tel événement « c’est bien pour motiver les jeunes. C’est un événement unique, qu’on ne voit qu’une fois dans une vie. En tant que sportif, ça motive pour la compétition, et pourquoi pas participer aux Jeux olympiques ».

Pas assez d’affluence

À Gourdeliane, dans la commune de Baie-Mahault, le vélodrome ouvert au public dès 14 heures et jusqu’à 21 heures, n’a pas réuni la foule. « La jauge n’est pas atteinte, vous pouvez quitter les gradins et rejoindre l’espace central pour profiter des animations » n’a cessé de haranguer l’animateur au micro. Il n’y a jamais eu plus de 2 000 personnes dans un vélodrome prévu pour en accueillir 9 000.

Le « pas assez » d’affluence s’explique d’abord par la faible attractivité sur place. Au côté de stand institutionnel comme celui de la mairie de Baie-Mahault, seuls les stands de trois partenaires commerciaux des Jeux olympiques ont offert quelques animations, et tenté de donner vie et faire souffler un vent sportif sur l’esplanade. Mais jeux et jouets étaient plutôt réservés aux tout petits : baby-foot, minigolf, mini-basket etc.

Le pas assez d’affluence s’explique aussi par le fait qu’une part de plus en plus grande du public guadeloupéen devient fantôme, scotché derrière son écran de télévision, lové dans l’oisiveté de son canapé. Il faut dire que les médias qui couvrent les grands événements, avec des financements des collectivités, déploient moult arguments afin de promouvoir leurs retransmissions.

Ces médias mettent en avant l’idée que par leur médiation, le spectacle sera mieux vu, dans l’entièreté de ses détails. Un argument qui fait mouche lorsque, comme c’est le cas avec ce relais de flamme olympique, le déroulé est multisites. Après une arrivée au Mémorial acte à Pointe-à-Pitre à 7 heures, la flamme olympique s’est rendue au Palais des sports et de la culture du Gosier, est passée par Saint-François à la Pointe des Châteaux, Saint-Claude, Basse-Terre, Le Moule, le Creps Guadeloupe aux Abymes (Centre de ressources d’expertise et de performance sportive), le palais des sports Laura Flessel à Petit-Bourg, la baie des Saintes à Terre-de-Haut, puis le vélodrome Amédée-Detraux où le chaudron a été allumé par une illustre inconnue, Véronique Vatran.

L’exécutif régional, Ary Chalus, a formulé des remerciements inclusifs. « Merci aux médias qui permettent à ceux qui n’ont pas pu faire le déplacement, les personnes hospitalisées, les handicapés, de vivre cet événement » a-t-il commenté. Cette tentative de masquer le malaise né du constat du faible public, n’efface pas la réalité : les médias retransmetteurs concurrencent les gradins qui restent clairsemés.

Pas assez cohérent

Alors que le très populaire cycliste Boris Carène avait fait son entrée dans le vélodrome en qualité d’avant-dernier relayeur, pour le final en apothéose les organisateurs ont choisi de faire redescendre l’enthousiasme en confiant le dernier relais à Véronique Vatran. Cette bénévole associative, férue de BMX, participe activement au développement de la discipline en Guadeloupe. Inconnue du grand public, elle n’a pu aligner que quelques phrases. Je suis particulièrement émue, c’est une expérience incroyable a-t-elle commenté au micro de l’animateur, toute à sa fierté d’occuper cette position.

Pour le final en apothéose du relais de la flamme olympique en Guadeloupe au vélodrome à Baie-Mahault le 15 juin, les organisateurs ont confié le dernier relais à Véronique Vatran, bénévole associative, férue de BMX, inconnue du grand public. Photo : Gilles Morel / Sipa

Le bénévolat, parce qu’il contribue à l’animation des clubs sportifs amateurs, est la cheville ouvrière du sport sans laquelle nombre de talents ne trouveraient jamais à s’exercer, éclore, performer, ont argumenté les organisateurs. Mais dans le cadre d’un événement olympien qui célèbre le sport à son ultime degré de performance, hisser sur la dernière marche du spectacle un amateur n’est « pas assez » cohérent pour déclencher l’ivresse du public qui a donc applaudi mollement.

Pas assez consciente

« Je suis à Saint-François, j’ai de l’eau une fois par semaine » glisse Gabriel, la soixantaine, qui n’a pas goutté les festivités. Pour ce chef d’entreprise interrogé le 18 juin, la Guadeloupe empêtrée dans la mauvaise gestion de ses ressources et équipements dans les domaines de l’eau, du transport de personnes, de la vie chère, n’a pas les moyens de « mettre autant d’argent public dans ce type d’événements ».

Le questionnement relatif au caractère opportun de cette manifestation, Marie-José Pérec s’en est fait l’écho dans le discours improvisé qu’elle a tenu au vélodrome. « Je sais qu’il y a des problèmes d’eau, et je suis avec vous ! Mais cet événement est une fierté » extraordinaire dont la Guadeloupe n’est pas assez consciente a-t-elle argumenté. « Nou fò an tchou an nou » a clamé à deux reprises la championne à une Guadeloupe qui gagnerait à prendre toute la mesure du secteur sportif.

Pas assez économique

Il y a 30 ans, les éléments de relative fortune de la sportive étaient documentés par Les Echos. Dans un article publié le 2 août 1996, le média économique expliquait que « Marie-José Pérec a gagné sa médaille d’or à Atlanta (sur 400 mètres) avec des chaussures Reebok, une firme à laquelle elle est liée par un contrat de 2 millions de francs. La championne olympique est habillée par Paco Rabanne ; elle représente aussi Danone et Rexona. Elle facture 200 000 francs sa présence dans une course. Cette somme sera vraisemblablement réajustée après son nouveau titre, qui s’ajoute à celui de Barcelone en 1992. »

Des sommes très modestes au regard des milliards qui irriguent d’autres disciplines sportives aujourd’hui. Mais alors que la Région a pour mission phare le développement économique, la question des débouchés économiques du sport, et leur mise en valeur au travers de cet événement, a été passée sous silence par les organisateurs qui ont préféré valoriser le bénévolat sportif et la recherche de la tradition culturelle.

En 2023, l’économie mondiale du sport était estimée à environ 500 milliards de dollars américains. Une évaluation qui comprend plusieurs segments, tels que les droits de diffusion, le sponsoring, la billetterie, les produits dérivés, les paris sportifs et les infrastructures sportives. Une dimension économique que les organisateurs ont perdue de vue dans la recherche de sens du relais de la flamme olympique en Guadeloupe.

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