À 23 ans, Nahuel Tournebize, élève ingénieure agronome sous statut d’étudiant entrepreneur, aspire à créer Capr’îles, le premier fromage made in Guadeloupe, grâce au cabri créole.

À 23 ans, Nahuel Tournebize incarne l’esprit vif et la détermination farouche de la jeunesse guadeloupéenne, celle qui ose et qui en veut. Originaire de Lamentin, cette étudiante ingénieure agronome, s’est armée d’une vision ambitieuse : éduquer sa communauté à l’importance de manger sainement et de manière responsable. À travers un lieu de partage accessible à tous, elle aspire à créer Capr’îles, le premier fromage made in Guadeloupe, grâce au cabri créole. Une innovation au périple audacieux. Portrait d’une Guadeloupéenne, passionnée, résiliente et enracinée.

Nahuel Tournebize se fait connaître grâce à Agreen Startup, le concours créé en 2014 par les chambres d’agriculture pour récompenser les entrepreneurs qui préparent l’agriculture de demain. Elle emporte l’édition 2023 en local. Profitant ainsi de la promesse de soutien financier et technique de la Région Guadeloupe, Nahuel est prête à relever le défi de l’autonomie alimentaire. Le concours Agreen Startup, c’est 30 000 euros de dotation, un accompagnement via l’association de développement de l’entrepreneuriat local InovaTechnopole, un voyage au Bénin, un livre, des avantages négociés auprès d’une banque.

En février 2024, elle décroche le 1er prix du concours Agreen Startup, dont la phase finale a eu lieu sur le Salon international de l’agriculture de Paris. « J’ai gagné ce concours au national, mais c’est gagner en Guadeloupe qui avait plus de valeur pour moi ».

Étudiante entrepreneuse

Malgré une certaine médiatisation, Nahuel Tournebize doit faire face à une réalité pesante. Elle ne trouve pas de terrain. Aux dernières nouvelles, elle voulait se tourner vers la location pour lancer les prémices du projet jusqu’à ce qu’on lui rétorque : « Je ne peux plus louer ce terrain, car si je te le loue, tu feras plus d’argent que j’en n’ai jamais fait dessus ». Une réponse qui laisse sans voix.

Pour l’instant, Nahuel résiste. Elle consacre 3 heures par jour à la recherche d’un terrain. Ce qui inclut, des appels téléphoniques, des visites de terrains privés, des recherches sur des sites spécialisés, des candidatures auprès de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), ainsi que des réunions avec des maires et des représentants régionaux ou départementaux. Mais « malheureusement nous avons une propension faire jouer le filon. On va favoriser la personne qu’on connaît. Les projets sont limités par cette réalité. On a du mal à mutualiser ».

Avec son statut national étudiant entrepreneur, Nahuel Tournebize a pu réduire son volume de cours afin de se consacrer pleinement à son projet Capr’îles. Ce statut offre également un accès à des conseillers en entrepreneuriat et à des formations sur des thèmes tels que la communication et les déclarations fiscales. « Mon stage de fin d’études se déroule au sein de ma propre entreprise, ce qui me permet de consacrer la totalité de mon temps à ce projet. »

Guyane, Martinique, Irlande, Norvège, Suède

Il est 8 heures du matin, lorsque nous entendons la voix de Nahuel Tournebize au téléphone. C’est une lève-tôt qui a choisi l’horaire de cette interview. Sa journée avait commencé depuis longtemps. Avant que le téléphone retentisse sur son bureau sur lequel, elle était déjà installée. Nous l’avons compris, à l’intonation de sa voix claire, affirmée et maîtrisée, que l’on écoute sans problème.

Elle nous fait partager son ambition en quelques mots : « Le projet que je développe consiste en la création de la première ferme de polyculture et d’élevage de cabris créoles avec transformation laitière, visant à développer une filière laitière locale. » Avec à la clé un fromage de chèvre local.

La dernière personne qu’elle a rencontrée pour son projet, c’était un éducateur canin, spécialiste des chiens de troupeau. Car elle souhaite acquérir de tels chiens pour réduire les coûts de mécanisation, nécessaires à la gestion des animaux dans les parcelles. Cette rencontre a permis de discuter des spécificités des races de conduite de troupeaux et de l’intérêt potentiel de leur présence en Guadeloupe.

Elle échange avec les autres, et a pu rencontrer les collégiens dans sa ville, Lamentin. Elle a pu leur exposer son projet et recueillir leur perception d’une ferme, d’une agricultrice et d’une agro transformatrice. C’était le 2 mai dernier. « L’objectif était de comprendre les opinions des jeunes et de démontrer que l’agriculture est un métier passionnant, tout en leur présentant les spécificités de la race locale » détaille-t-elle.

Nahuel Tournebize ne chôme pas. Elle croit fermement en la concrétisation de son projet. C’est la première chose à cultiver lorsqu’on se lance en entreprise : croire. Défiant les tentatives de découragement, Nahuel s’est lancée dans un périple d’une année à travers des destinations exotiques mais aussi des pays nordiques. De septembre à novembre elle était en Guyane. Elle a passé son mois d’août en Martinique. Puis elle s’est envolée pour l’Irlande, la Norvège et la Suède, pour une période allant de février à juin 2023.

« Ces stages m’ont permis de m’immerger dans des fermes qui pratiquent la polyculture et l’élevage avec transformation laitière sur place. L’objectif était d’appréhender les différents procédés, de l’élevage au produit fini, et d’apprendre les processus de transformation laitière dans des régions où l’élevage caprin n’est pas traditionnel, afin d’observer comment ces exploitations se démarquent » raconte-t-elle.

Elle découvre que ce sont des femmes qui dirigent les exploitations et cela nourrit sa motivation à créer la première fromagerie de la Guadeloupe. « On est le seul territoire ultramarin à ne pas produire un seul litre de lait » déplore-t-elle.

Autonomie alimentaire

Malgré les obstacles, Nahuel ne fléchit pas. Face à l’absence de terrain et aux contraintes financières, elle explore des voies alternatives pour concrétiser son rêve. Consciente des pensées limitantes et des blocages humains, elle aspire à dépasser ces entraves pour ouvrir la voie à une nouvelle génération d’agriculteurs et d’entrepreneurs.

À 23 ans, Nahuel Tournebize, élève ingénieure agronome sous statut d’étudiant entrepreneur, aspire à créer Capr’îles, le premier fromage made in Guadeloupe, grâce au cabri créole.
À 23 ans, Nahuel Tournebize, élève ingénieure agronome sous statut d’étudiant entrepreneur, aspire à créer Capr’îles, le premier fromage made in Guadeloupe, grâce au cabri créole.

« Beaucoup de personnes tentent de me décourager mais je ne me laisse pas faire. Quand mes amis, viennent en vacances ici, ils veulent aller à la plage. Moi je ne peux pas y aller, je suis occupée avec l’entreprise ». Une réalité pas toujours comprise par ces derniers, mettant en péril les relations sociales. C’est le fardeau des entrepreneurs qui voient petit à petit, les connaissances s’éclipser.

Déterminée à faire valoir sa place dans un monde agricole dominé par des voix masculines, Nahuel refuse de se laisser marginaliser. À travers ses pitchs devant les instances ministérielles et ses efforts pour promouvoir les circuits courts, elle aspire à conquérir une reconnaissance pour son engagement en faveur de l’autonomie alimentaire et du développement local.

Les projets agricoles sont soutenus jusqu’à 80 % par les instances publiques, car ils sont coûteux. Le projet de Nahuel Tournebize nécessite un terrain d’au moins 5 hectares pour assurer l’autonomie en fourrage, avec un démarrage envisagé avec une trentaine de têtes de bétail et un investissement initial estimé à 500 000 euros.

Panier de crabes

En Guadeloupe, la constitution et la transmission de patrimoine semblent être galvaudées. La génération à venir, se retrouve sans cesse entravée par la peur de voir l’autre faire mieux. Une mentalité du panier de crabes, insidieuse, qui affleure dans les conversations, et viendrait de notre histoire. Elle est responsable de la fuite des cerveaux et de la démotivation de ceux qui restent et n’ont aucune ambition. Cependant, certains résistent. À l’instar de Nahuel Tournebize qui résiste, s’investit, cherche. C’est aussi cela, l’autre partie de l’iceberg, celle qu’on voit peu ou pas.

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