L’atmosphère est électrique ce mardi 1er octobre à l’Assemblée nationale. Michel Barnier, fraîchement nommé Premier ministre, s’adresse aux députés pour sa déclaration de politique générale. Un exercice traditionnel pour tout nouveau chef de gouvernement. Mais cette fois il n’y a pas eu de vote de confiance à l’issue de l’intervention.
Selon l’article 49-1 de la Constitution, le Premier ministre n’est pas tenu de solliciter la confiance de l’Assemblée après sa déclaration. Toutefois, cette pratique reste un moment clé pour mesurer le soutien parlementaire dont dispose un gouvernement. Pour Michel Barnier, nommé sans majorité, et s’appuyant sur la légitimité que lui confère le président de la République, bien que ce dernier ait délibérément contourné le résultat des dernières élections législatives, la situation est inextricable.
Dès les premières minutes du discours, les députés Insoumis brandissent leurs cartes d’électeurs. Un geste symbolique fort. « Les Français n’ont pas voté pour vous ! » crient-ils, mettant en lumière un déni démocratique. Les huissiers de l’Assemblée interviennent rapidement, demandant aux parlementaires de ranger ces signes de protestation.
Un politologue confie : « Ce geste des Insoumis, c’est plus qu’un simple coup d’éclat. C’est un rappel du vote populaire, celui que Michel Barnier choisit d’ignorer aujourd’hui en évitant de demander la confiance. »
Le choix risqué de Michel Barnier
Pourquoi Michel Barnier décide-t-il de ne pas solliciter le vote de confiance ? Selon plusieurs sources proches du gouvernement, c’est avant tout une manœuvre pour éviter une défaite quasi assurée. Sans majorité à l’Assemblée, le risque d’un rejet de confiance est assuré, le Rassemblement national ne pouvant votant la confiance et le Nouveau front populaire étant le groupe majoritaire. En contournant cette étape, Barnier espère gagner du temps et construire des alliances au fil des semaines.
Cependant, ce choix pourrait se retourner contre lui. En ne sollicitant pas la confiance des députés, Michel Barnier fragilise son assise politique dès le début de son mandat. « C’est une bombe à retardement », affirme un politologue. « Le Premier ministre commence sur une base instable. Sans soutien clair du Parlement, chaque projet de loi sera une épreuve de force. »
Michel Barnier pourra-t-il gouverner efficacement sans l’aval explicite de l’Assemblée ? Comment réagira l’opposition, qui ne cache pas sa volonté de bloquer plusieurs réformes majeures ? Pour l’instant, la nomination de Barnier à Matignon laisse un goût amer dans une grande partie de l’hémicycle. Ses débuts à la tête du gouvernement promettent d’être agités, et la moindre faille pourrait bien offrir à l’opposition l’occasion de réclamer un vote de censure.
Dans cette situation tendue, Michel Barnier devra faire preuve de pragmatisme et de diplomatie pour apaiser un Parlement en ébullition.
Le Premier ministre a assuré devant l’Assemblée vouloir ramener le déficit sous 3 % du PIB en 2029, en mettant à contribution des grandes entreprises et les Français les plus fortunés.
Deux épées de Damoclès
Près d’un mois après sa nomination par le président Emmanuel Macron, le nouveau chef du gouvernement issu du parti de droite Les Républicains (LR) a affirmé que « la véritable épée de Damoclès, c’est notre dette financière colossale […] qui, si l’on n’y prend garde, placera notre pays au bord du précipice », alors que le déficit de la France risque de dépasser 6 % du PIB en 2024, loin des 3 % fixés par Bruxelles.
Michel Barnier compte repousser l’atteinte de ce seuil de 3 % deux ans plus tard que l’échéance fixée par le précédent gouvernement.
« Le premier remède de la dette, c’est la réduction des dépenses » et le deuxième « l’efficacité des dépenses », a-t-il martelé. Le troisième remède étant le levier fiscal.
« Nos impôts sont parmi les plus élevés du monde mais la situation de nos comptes demande aujourd’hui un effort limité dans le temps qui devra être partagé », a plaidé le chef du gouvernement, en évoquant une participation demandée « aux grandes entreprises qui réalisent des profits importants, ainsi qu’une contribution exceptionnelle aux Français les plus fortunés ».
Mais l’effort pour réduire la dette proviendra en 2025 aux deux tiers de la réduction des dépenses, a-t-il assuré.
La marge de manœuvre de Michel Barnier est extrêmement étroite. La situation financière explosive s’ajoute à l’absence de majorité à l’Assemblée. Et ses alliés du bloc macroniste l’exhortent à ne pas détricoter la politique notamment d’allégement fiscal menée depuis sept ans.
« Nous serons nombreux à ne pas pouvoir soutenir un gouvernement qui augmenterait les impôts », a prévenu dimanche l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, écarté du gouvernement.
« Il y a une autre épée de Damoclès », a souligné Michel Barnier, « la dette écologique ». « Je pense qu’on peut faire beaucoup » pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. « Nous pouvons et nous devons faire plus contre le changement climatique. » « Les travaux de planification » dans le domaine de l’énergie et du climat « vont reprendre immédiatement », a-t-il poursuivi.
Un sixième raout interministériel pour l’Outre-mer
Depuis 2009, la France a organisé un total de cinq Comités interministériels des Outre-mer (Ciom). Ces réunions ont pour objectif de définir et coordonner des mesures concrètes pour améliorer les conditions de vie dans les territoires ultramarins. Le dernier Ciom s’est tenu le 18 juillet 2023, où la Première ministre, Élisabeth Borne, a annoncé 72 nouvelles mesures couvrant divers domaines comme la lutte contre la vie chère, la souveraineté alimentaire et la transition énergétique.
Cela n’a pas empêché Michel Barnier d’en annoncer un sixième. Le chef du gouvernement présidera « durant le premier trimestre 2025 » un nouveau comité interministériel des Outre-mer avec les élus et les organisations professionnelles. L’objectif sera « de valoriser leurs ressources propres, agricoles, forestières, maritimes, énergétiques » des Outre-mer au « bénéfice direct de leurs habitants ».
« Dans les Outre-mer, qui sont engagés vers un objectif de 100 % d’électricité renouvelable en 2030, seront développés des laboratoires d’innovation pour le solaire et la géothermie », a annoncé le chef du gouvernement.
Changement de ton en Nouvelle-Calédonie
« J’ai conscience des souffrances et de l’angoisse que ressentent les habitants de Nouvelle-Calédonie », a déclaré Michel Bernier devant les parlementaires. « Je veux leur dire que l’État et mon gouvernement seront à leurs côtés », a-t-il ajouté, dans son discours visant à rassurer une population de plus en plus exaspérée.
La crise en Nouvelle-Calédonie remonte à mai dernier, lorsque le projet de réforme du dégel du corps électoral a mis le feu aux poudres. Cette réforme, adoptée par les assemblées parlementaires à Paris, visait à ouvrir les scrutins provinciaux à de nouveaux électeurs, ce qui a provoqué une levée de boucliers.
Face à la colère continue des Kanaks, le gouvernement fait un pas en arrière. Michel Barnier annonce que la réforme du dégel du corps électoral ne sera finalement pas soumise au Congrès calédonien. « Le projet de loi constitutionnelle adopté en mai dernier ne sera pas présenté au Congrès, comme le confirmera le président de la République aux élus de Nouvelle-Calédonie », précise-t-il. Emmanuel Macron doit rencontrer les représentants calédoniens en novembre pour tenter de trouver une issue à cette crise.
Les élections provinciales, qui déterminent la composition du Congrès calédonien, seront à nouveau reportées. Initialement prévues en mai 2024, elles devraient avoir lieu « fin 2025 ». « Les assemblées parlementaires auront donc prochainement à se prononcer sur ce report par une loi organique », a précisé le Premier ministre.
Ces annonces marquent un tournant dans la gestion de ce dossier explosif.
Social, immigration
Les récentes législatives anticipées, convoquées par le président Macron après l’échec cuisant de son parti aux élections européennes début juin, ont débouché sur une Assemblée fragmentée en trois blocs irréconciliables : la gauche, dont la coalition est arrivée première aux élections mais qui est absente du gouvernement, le centre droit macroniste, et l’extrême droite de Marine Le Pen.
Le Rassemblement national de Marine Le Pen, parti qui compte à lui seul le plus de députés, se trouve en position d’arbitre. Il dit avoir mis « sous surveillance » le gouvernement et peut le faire tomber à tout moment en votant une motion de censure de la gauche.
Pour tenter de satisfaire la France de gauche, et comme une première réponse aux milliers de personnes qui manifestaient mardi en France, à l’appel de plusieurs syndicats, pour que le gouvernement « réponde aux exigences sociales », le Premier ministre a annoncé tendre la main aux partenaires sociaux pour discuter notamment des retraites, dont la réforme en 2023 a provoqué un vaste mouvement de contestation populaire.
Sur l’immigration, cheval de bataille de l’extrême droite imitée par la droite, Michel Barnier a annoncé vouloir « mieux contrôler nos frontières et faciliter la prolongation exceptionnelle de la rétention des étrangers en situation irrégulière, pour mieux exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ».
Il a également affirmé ne pas s’interdire la réduction des visas envers les pays rechignant à reprendre leurs ressortissants, et a promis d’être « impitoyable » avec les passeurs de migrants en Méditerranée ou dans la Manche, où les naufrages meurtriers se multiplient ces dernières années.
Ces propos font écho à ceux de son ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, partisan d’une ligne extrême, et qui à peine nommé, a généré plusieurs polémiques, affirmant notamment que « l’immigration n’est pas une chance ».
Insuffisant pour Marine Le Pen, qui a aussitôt exigé dans l’hémicycle que le gouvernement présente une nouvelle loi immigration début 2025, en reprenant les mesures censurées par le Conseil constitutionnel en janvier.
Des chantiers prioritaires
Le Premier ministre a poursuivi son discours en présentant ses « cinq grands chantiers prioritaires ». Le premier sera consacré au « niveau de vie des Français ». « Notre objectif, c’est que tous les Français frappés par la vie chère constatent dès l’année prochaine une amélioration de leur niveau de vie », a-t-il plaidé. Pour le logement notamment, Michel Barnier a dit souhaiter des « mesures rapides » pour relancer « l’accès à la propriété », notamment pour les primo acquéreurs.
« Nous revaloriserons le Smic de 2 % dès le 1er novembre, en anticipation de la date du 1er janvier », a annoncé mardi le Premier ministre, Michel Barnier. « Il reste dans notre pays des branches professionnelles dans lesquelles les minima sont inférieurs au Smic, ce n’est pas acceptable et cela devra faire l’objet de négociations rapides », a ajouté le chef du gouvernement.
Le deuxième chantier sera « l’accès aux services publics », pointant particulièrement l’école, la petite enfance et la santé. « La lutte contre les déserts médicaux et la pénurie des soignants sera la priorité du gouvernement », a assuré Michel Barnier. Pour améliorer les services publics, le Premier ministre français veut notamment « renforcer l’attractivité de l’enseignement » et réduire les formalités du système de santé, grâce à l’intelligence artificielle.
Le troisième chantier du gouvernement de Michel Barnier sera « la sécurité ». « Les Françaises, tous les Français, ont besoin d’être rassurés par la présence de nos forces de l’ordre », a estimé le Républicain. Le Premier ministre proposera « des peines de prison courtes » pour certains délits. Il plaide également pour créer de nouvelles places dans les prisons et développer des peines alternatives pour les plus courtes peines.
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