La journaliste Anne-Laure Barral, spécialiste des questions d'énergie et d'environnement à France Info et membre de la cellule d'investigation de radio France, révèle que le risque de cancer lié au chlordécone, était connu des experts dès 1981. Photo d'archives.

La cellule investigation de radio France vient d’apporter une pièce nouvelle au dossier du chlordécone. La journaliste Anne-Laure Barral, membre de cette cellule journaliste et spécialiste des questions d’énergie et d’environnement à France Info, a révélé le vendredi 21 avril, dans un article intitulé « Chlordécone : les scientifiques alertaient sur les risques de cancer depuis les années 80, selon des archives retrouvées » que le risque de cancer lié au chlordécone, était connu des experts dès 1981. Une information qui pulvérise l’un des arguments développés par les juges d’instruction du pôle santé de Paris, Brigitte Jolivet et Fanny Bussac, afin de justifier l’ordonnance de non-lieu, qu’ils ont rendu le 2 janvier 2023 sur le dossier. À savoir : l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs, des scientifiques, des politiques. Dans leur argumentaire, les magistrates affirment que « l’état des connaissances techniques ou scientifiques au début des années 1990, ne permettait pas d’établir le lien de causalité certain exigé par le droit pénal, entre le pesticide et les atteintes à la santé ». Archi-faux, selon les éléments de l’enquête menée par Anne-Laure Barral. La caractéristique de l’axiome, c’est qu’elle a l’insigne conséquence d’absoudre tout le monde. La commission d’enquête parlementaire sur le scandale du chlordécone conduite de septembre à octobre 2019 par le député martiniquais Serge Letchimy laissait déjà planer un doute quant à la véracité de cette sentence. La commission d’enquête avait constaté et déploré la disparition de nombreux documents sur une période d’une vingtaine d’années. Des pièces qui auraient pu retracer les conditions dans lesquelles ce poison a été autorisé aux Antilles.

Le chlordécone classé cancérigène

Au rang de ces archives introuvables, figure celle de 1981 qui porte sur la réunion de la commission des toxiques sur le curlone (nom commercial du pesticide à base de chlordécone). Anne-Laure Barral n’a pas retrouvé cette archive. Celle-ci reste introuvable. La journaliste indique au passage qu’il subsiste toujours un trou de huit ans d’archives sur le sujet chlordécone. Mais elle a recueilli un témoignage qui contredit les juges d’instruction. Celui d’Isabelle Plaisant, ancienne membre de cette commission : « Le président de la commission, le professeur René Truhaut est venu nous voir pour nous alerter sur le fait que l’OMS [Organisation mondiale de la santé] venait de classer le chlordécone comme cancérigène possible pour l’homme « , a confié Isabelle Plaisant. Selon elle, le professeur René Truhaut, pionnier de la cancérologie française, était à l’époque une sommité dans le domaine de la toxicité. Il avait participé au panel d’experts de l’OMS. Dès 1979, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) avait classé le chlordécone comme cancérigène possible pour l’homme, lui faisant courir un risque sanitaire lié au cancer. Toujours selon Isabelle Plaisant, à cette commission, le représentant du ministre de l’Environnement a avoué qu’il a eu connaissance de la présence de chlordécone sur des animaux en Guadeloupe. Isabelle Plaisant certifie en outre qu’à cette commission des toxiques, siégeaient des lobbyistes des pesticides. Et en grand nombre. Plus grave, contrairement à ce qui est écrit au Journal officiel, selon le témoignage d’Isabelle Plaisant, ce sont les lobbyistes qui ont fait pencher la décision d’autoriser le curlone.

Des arguments contre la prescription

L’enquête d’Anne-Laure Barral souligne aussi qu’en Guadeloupe, des échantillons de légumes contaminés au chlordécone analysés par la répression des fraudes, ont été détruits en 2005. À la même époque, une analyse de l’eau potable effectuée par la Ddass Martinique, a elle aussi disparu. La cour d’appel de Paris doit se prononcer sur le recours formé par les associations sur la décision de non-lieu prononcé par les juges d’instruction. Ces éléments nouveaux vont-ils déboucher sur un procès propre à identifier et à sanctionner les auteurs et complices de l’empoisonnement des Antilles au chlordécone ? Oui selon Christophe Leguevaques, avocat de certaines parties civiles qui ont déposé plainte dans cette affaire, dont l’association guadeloupéenne ‘Vivre’ présidée par Patrica Châtenay-Rivauday. Selon l’avocat, les révélations d’Anne-Laure Barral devraient permettre de rebondir et de compléter les arguments contre la prescription. Christophe Leguevaques affirme au micro d’Anne-Laure Barral : « On interdit le chlordécone en 1990, mais on ne vérifie pas sa présence dans l’eau. On sait pourtant qu’il y en avait. L’eau qui circule dans les tuyaux de distribution va se contaminer à nouveau en chlordécone puisque ces tuyaux sont contaminés depuis 40 ans. Ce n’est qu’en 2001 qu’on appliquera une politique active de décontamination de l’eau ». En somme, selon l’avocat, si la source de la pollution remonte entre 1970 et 1990, le produit chlordécone lui a continué à contaminer l’eau. Surtout celle du robinet. L’argument est probant. Sera-t-il judiciairement opérant ?

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