La ville de Trois-Rivières marque la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars prochain par une programmation d’échange et de partage de 15h à 22h, à la salle polyvalente Bloncourt-Francillette, sous le thème « Les femmes co-bâtisseurs de nouvelles solidarités ».
À l’ouverture de cet événement, le docteur en écologie Jean-Marie Flower donnera une conférence intitulée « Quels rôles pour les femmes dans la transition écologique et solidaire ? » L’écologue a acquis la conviction que les droits des femmes renforcent l’écologie et vice versa. Le Courrier de Guadeloupe interroge sa vision de la signification profonde de cette célébration.
Le Courrier de Guadeloupe : Jean-Marie Flower, quelles femmes vous ont inspiré dans votre parcours professionnel et personnel ?
Jean-Marie Flower : Cette question me donne l’occasion de mettre en avant quelques femmes qui non seulement m’inspirent, mais devraient aussi servir de modèle à tous. Juliana Glasgow présidente de l’association Kalinagwada, Vanessa Nakaté militante écologiste ougandaise pour le climat, Aurore Stéphant ingénieure géologue minier. Madame Stéphant accomplit un immense travail sur l’impact des extractions minières et le danger qu’elles font courir à l’humanité. Il y a aussi Hélène Grosbois ; venue de la finance, elle est passée à l’agriculture. En somme elle a su renouer avec le vivant. Vera Nikolsky est, elle, féminicène. Le terme est un clin d’œil à l’anthropocène (nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques, N.D.L.R).
D’une manière plus générale, les femmes doivent prendre leur place dans tous les secteurs d’activité, dans tous les métiers. Gayle Verberg est actuaire. Elle travaille dans le monde de la finance. Elle démontre que les finances ne sont rien sans les écosystèmes. Elle explique que la fin de l’abondance énergétique va nous obliger à changer notre façon de vivre. Enfin il y a ma mère choriste soprano dans la chorale « Chœurs créoles kolibri » dirigée par mon père. Une chorale qui reprend les chants traditionnels, identitaires du negro-spiritual, des compositions sur l’environnement.
Qu’est-ce qui rassemblent toutes ces femmes alors qu’elles sont toutes différentes ?
Jean-Marie Flower : Elles ont toutes une vision du long terme, une vision de la transmission. Transmission de gènes, de savoir-faire. Elles ont en commun d’avoir compris la complexité du monde. Elles sont interconnectées dans tous les sens du terme. Chacune de ces femmes est un élément de mon ressourcement lorsque je doute. Elles considèrent la nature comme une école. Elles ont conscience du cycle de l’eau, de celui du carbone. Toutes choses extrêmement menacées aujourd’hui. Je valorise toutes ces femmes. Nous ne sommes pas que masculins. Nous sommes féminins aussi.
Pourriez-vous partager une expérience personnelle qui illustre l’importance de l’engagement des femmes dans le domaine de l’écologie ?
Jean-Marie Flower : Difficile de dégager une expérience… C’est tout un quantum. C’est chacune de ces rencontres avec ces femmes. C’est une addition, un cumul de plein de rencontres. Mettre en exergue une ce serait faire injure aux autres.
Racontez-nous alors un moment ou une rencontre qui a été déterminante dans votre engagement pour les droits des femmes ?
Jean-Marie Flower : Difficile à dire aussi. Cela remonte au temps où j’étais étudiant et même avant le bac. Cela s’est fait au fur et à mesure. L’exploitation des écosystèmes, c’est très souvent le reflet de l’exploitation des plus faibles, de la femme. Jusqu’au XXe siècle, le destin naturel de l’enfant c’était de mourir. Quel sens peut avoir le combat écologique s’il n’y a pas une justice entre les êtres sur terre ? C’est aussi tout le sens de l’engagement du Prix Nobel de la paix Denis Moukwegué, gynécologue spécialiste de la reconstitution des organes génitaux mutilés chez la femme.
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans la lutte pour l’égalité des sexes et comment cela influence votre travail ?
Jean-Marie Flower : Brimades, rebuffades se succèdent dans l’histoire de la femme et pourtant elles rebondissent toujours. Fanm sé chatenn’, nonm sé fouyapen dit le proverbe créole. L’humanité est peut-être un cancer. Les femmes sont celles qui vont le plus souvent rassurer à long terme. Elles vont privilégier les liens au détriment des biens. Les femmes ont toujours tenu une place importante dans les tontines par exemple. Mon engagement est la conséquence de tous ces éléments et de toutes les grandes femmes que j’ai rencontrées. C’est la notion d’injustice qui me hante le plus, et les femmes sont souvent victimes d’injustice. Cela, où que je sois, quoi que je fasse, je ne l’oublie jamais.
En quoi la célébration de la journée internationale des droits des femmes à Trois-Rivières revêt une signification particulière pour vous ?
Jean-Marie Flower : Le simple fait qu’il y ait besoin d’une journée comme celle-là, est significatif. Cela veut dire que les inégalités entre hommes et femmes sont encore fortes. Au niveau de la Guadeloupe et de la Caraïbe il faut faire en sorte que tout le monde ait voix au chapitre. Tout faire pour préserver la paix. Le travail à accomplir reste immense. Comment on produit différemment à manger, comment on se soigne autrement. Tout cela doit se faire à marche forcée. Mon ambition c’est de montrer comment cette journée des droits des femmes est liée à la protection de l’environnement.
Pouvez-vous développer le thème de votre intervention à cette journée des droits des femmes ?
Jean-Marie Flower : Le thème de ma conférence sera « Quels rôles pour les femmes dans la transition écologique et solidaire ? » C’est une question systémique. Dans tous les domaines dans lesquels les femmes sont intervenues, elles ont apporté quelque chose. Le droit à la contraception, pour qu’il soit respecté, impose des choix. S’il faut choisir pour sauvegarder ce droit, qu’est-ce qu’il faut choisir : électrifier les transports de marchandise ou électrifier le transport des personnes ? Eh bien il faut privilégier le transport des marchandises parce qu’il faut que les pilules arrivent.
Le fait de se préoccuper du bon usage des antibiotiques est mieux pris en compte par les femmes. La perte d’efficacité des antibiotiques a un impact sur la mortalité infantile. Si elle repart à la hausse, il reviendra aux femmes de faire plus d’enfants pour assurer la pérennité de l’humanité. Les femmes sont plus fragiles et montrent une plus grande précarité énergétique, menstruelle, une plus grande précarité liée aussi à l’eau.
Quelle est selon vous la relation entre les droits des femmes et les enjeux écologiques actuels ?
Jean-Marie Flower : Aujourd’hui l’économie est linéaire. On passe de la ressource aux déchets. C’est le vivant qui fabrique la néguentropie (évolution d’un système qui commence en désordre et devient de mieux en mieux organisé N.D.L.R), pas les panneaux solaires. Eux vont vers l’entropie (vers un système de plus en plus désorganisé, dégradé N.D.L.R). C’est-à-dire la fin de leur énergie. Il ne faut pas seulement décarboniser nos sociétés. Il faut aussi les « désénergiser ».
Il faut savoir se poser la question du choix des machines que nous allons privilégier. On a plus tendance à accepter la souffrance chez la femme que chez l’homme. Il y a des souffrances féminines qui si elles existaient chez l’homme, ne seraient absolument pas tolérées. Ce n’est pas par hasard si l’écoféminisme est apparu. Les droits des femmes renforcent l’écologie et vice versa. Si on pense ces deux concepts séparément, on est beaucoup moins efficace.
Que souhaitez-vous que les participants retiennent de votre conférence-débat le 8 mars ?
Jean-Marie Flower : Les femmes ont plusieurs rôles à jouer. Les défis qui sont devant nous demandent de faire mieux avec moins. Il va falloir gérer la rareté. On doit limiter la casse. Qui sera perdant dans une transition écologique même réussie ? Est-ce les personnes valides qui auront droit à l’énergie ou les handicapés ? Attention aux armes de distraction massive. Il faut être attentif à la quantité d’énergie consommée, pas seulement à sa qualité.
Cela veut dire qu’il vaut mieux consommer moins d’énergie carbonée plutôt que conserver le même niveau de consommation d’une énergie décarbonée. Ouvrir les portes sur d’autres façons de voir, non pas pour apporter des réponses mais pour poser d’autres questions. Toutes les femmes que j’ai évoquées plus avant seront le fil rouge de mon intervention. Ce sera le point de départ. Comment on peut basculer dans une autre conception, avec d’autres lunettes.
Quelles actions concrètes aimeriez-vous voir émerger à la suite de cet événement ?
Jean-Marie Flower : Difficile d’y répondre maintenant. J’ai plusieurs idées qui me trottent dans la tête depuis 15 ans. Il faut espérer l’inattendu et croire en l’inconnu. Il faut être ouvert, avoir confiance. Si les gens repartent un peu plus curieux ce sera déjà bien.
Quelles sont vos aspirations pour l’avenir des droits des femmes en Guadeloupe, et comment voyez-vous votre rôle dans ce futur ?
Jean-Marie Flower : J’espère que ce combat sera une coconstruction qui se poursuivra en comprenant les liens qu’il y a entre la condition des femmes et celle des écosystèmes. Notre société est instable. Ce qui est instable ne peut durer. C’est pour cela qu’il faut préparer la suite. Apprendre à limiter la casse et ne pas aggraver les symptômes. La question n’est pas tant d’avoir des machines de plus en plus puissantes mais d’avoir les bonnes machines pour les bonnes causes. Ce n’est pas seulement un combat guadeloupéen, mais caribéen. Quant à mon rôle, il sera celui qu’on voudra bien me donner. L’avancée des droits des femmes ce sera de rappeler que l’homme est une femme comme les autres.
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