Entrée de la centrale électrique EDF PEI à Baie-Mahault, Guadeloupe, le 30 septembre 2024. Photo : Le Courrier de Guadeloupe

Depuis le 15 septembre, les Guadeloupéens sont la proie de coupures d’électricité massives, provoquées par la baisse de production résultant d’une grève à la centrale EDF PEI de Pointe Jarry, à Baie-Mahault.

Ce mouvement social, porté par le syndicat FE-CGTG et conduit par Nathanaël Vérin, tire ses racines d’un désaccord persistant sur l’application de mesures issues d’un protocole de fin de conflit signé en février 2023. Le syndicat dénonce la lenteur de la mise en œuvre des engagements pris par EDF PEI – notamment en matière de régularisation d’éléments de paye et d’embauches-, et la population subit la rapidité des coupures.

Les foyers et les entreprises guadeloupéennes sont en alerte, attentifs au moindre signe d’une solution. Le 2 octobre, échéance de l’ultimatum lancé par le syndicat à EDF, et date qui pourrait plonger de nouveau des milliers de foyers dans un cauchemar électrique.

Un impact massif sur les foyers

La grève à EDF PEI, filiale à 100 % d’EDF, a entraîné un arrêt des moteurs de la centrale de Pointe Jarry, une infrastructure qui fournit environ 70 % de l’électricité de l’archipel. Très vite, les effets du conflit se sont fait ressentir. Le 16 septembre à 18 h 40, 24 000 foyers étaient privés de courant, principalement à Sainte-Anne, Sainte-Rose et Saint-François.

Le nombre de foyers touchés n’a cessé d’augmenter les jours suivants, atteignant 45 000 le 17 septembre à 19 heures principalement aux Abymes, à Sainte-Anne, à Saint-François, à Gourbeyre, à Pointe-à-Pitre et au Gosier. Puis 83 000 le 18 septembre, avec un pic à 115 000 foyers touchés par les délestages au plus fort de la crise.

Face à cette situation, EDF Archipel Guadeloupe a présenté ses mesures. « Nous mettons tout en œuvre pour garantir l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité », a déclaré l’entreprise, tout en annonçant des coupures tournantes de deux à quatre heures dans plusieurs communes, notamment Goyave, Baie-Mahault et Pointe-à-Pitre.

Pour éviter un incident généralisé, des délestages ont été jugés indispensables. « Dans le contexte actuel de fragilité du système électrique, les délestages sont essentiels pour prévenir un black-out », précisait l’énergéticien.

Une réponse insuffisante des autorités ?

Si l’inéluctabilité des délestages a été avancée par EDF archipel Guadeloupe, la question des réquisitions des salariés grévistes est arrivée sur de nombreuses lèvres. Face à l’ampleur des coupures et à l’impact sur les services essentiels, comme l’approvisionnement en eau, certains estiment qu’une réquisition des agents aurait dû être envisagée.

Le préfet de la Guadeloupe, Xavier Lefort, a tenté de montrer sa solidarité avec la population, sans tirer toutefois les conséquences de la situation qu’il décrivait. « On peut vivre avec des délestages de deux heures qui touchent un petit nombre d’abonnés. Là, on est dans une situation qui a trouvé, depuis hier soir, ses limites. 4 heures de délestage… Des délestages qui reprennent 2 heures après… On n’est pas dupes. On est tous concernés, moi le premier, par ce qu’il y a dans nos frigos. On sait qu’il y a un impact sur l’eau », a-t-il déclaré le 19 septembre, reconnaissant l’extrême gravité de la situation.

Une déclaration qui a laissé un goût amer à de nombreux habitants qui déplorent l’impuissance des autorités à les protéger.

Un dialogue social tronqué

De son côté, Frédéric Maillard, président d’EDF PEI, s’est dit surpris par la tournure des événements. « Les revendications soulevées par le syndicat auraient pu être traitées par le dialogue social interne », assure-t-il, marquant son incompréhension face à la radicalisation du mouvement.

Le syndicat FE-CGTG, a montré des signes d’assouplissement. Nathanaël Vérin a dans un courrier exprimé son souci de respecter l’arrêt du 12 avril 2013 du Conseil d’État sur la limitation du droit de grève chez les producteurs d’électricité compte tenu des besoins essentiels des consommateurs. Depuis le 27 septembre, les coupures d’électricité ont diminué en intensité, laissant place à des microcoupures.

L’avenir incertain

Malgré cet apaisement relatif, la situation reste électrique. Le syndicat a repoussé son ultimatum initialement posé à lundi 30 septembre, au mercredi 2 octobre, exigeant la venue sur place d’un représentant de la direction nationale d’EDF. La FE-CGTG accuse la direction locale, incarnée par Gaëlle Paygambar, d’impuissance face aux problèmes en suspens, notamment la régularisation des bulletins de salaire depuis 2018.

Les prochains jours s’annoncent sous le spectre de nouvelles coupures. « Je ne peux pas être solidaire de cette grève et ses coupures », confie une habitante de Pointe-à-Pitre. « L’enjeu de société est trop important pour que nous soyons privés d’électricité comme ça. Jamais on ne verrait ça en France », s’insurge cette employée de la grande distribution. Elle décrit avec inquiétude les répercussions des coupures : « Je rentre du travail à 21 heures, et me retrouver dans les rues sombres de Pointe-à-Pitre c’est mortel. Pendant les coupures, je voyais l’hélicoptère de la gendarmerie survoler la zone avec son projecteur, on se sent en insécurité totale. »

La situation est perçue comme d’autant plus injuste qu’elle serait impensable dans l’Hexagone. En mars 2023, lors de la sixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, près de 47,65 % des salariés d’EDF avaient cessé le travail, entraînant une baisse de production cumulée équivalente à la puissance d’une quinzaine de réacteurs nucléaires.

Pourtant, aucun client n’avait subi de coupure. Les baisses de production sont rigoureusement encadrées par le gestionnaire de réseau qui protège les usagers avec rigueur, tandis qu’en Guadeloupe, les coupures frappent sans prévenir, indifférentes à la détresse des foyers. La production d’électricité en Guadeloupe montre avec cet épisode son extrême fragilité. Pour Antoine Tacite, ancien cadre d’EDF archipel Guadeloupe et ex-responsable de l’association Force ouvrière consommateurs que nous avons interviewé (lire ici), ni les élus ni la population ne mesurent pleinement la stratégie d’EDF et les enjeux de la politique énergétique de l’archipel.

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