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Depuis la découverte d’un village viking à L’Anse aux Meadows, sur l’île canadienne de Terre-Neuve, il y a plus de cinquante ans, la plupart des spécialistes s’accordent à dire que ces navigateurs nordiques, qui ont parcouru avec leurs fameux drakkars les mers de la fin du 8e siècle au début du 12e siècle environ, ont été les premiers Européens à atteindre l’Amérique. Tout atteste aujourd’hui que les Vikings auraient été présents en Amérique dès l’an 1021, il y a tout juste 1 000 ans. Eh oui, il va falloir réécrire les manuels d’histoire… En effet, si la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb a bien ouvert la voie à la colonisation européenne, le Génois ne fut pas le premier à fouler le sol américain. Cinq siècles avant lui, les Vikings y avaient déjà pris pied notamment en Amérique du Nord et selon toute vraisemblance un peu plus tard dans la Caraïbe. Vraisemblablement les Vikings sont les premiers colons de la Guadeloupe. D’après les informations en notre possession,  ils s’y seraient installés dès l’origine dans la partie de la grande terre allant du Moule à Saint François.

Mais la date précise de l’incursion viking en Guadeloupe d’abord au « Porland », du nom d’un ancien village viking Porkland situé en Norvège et comme s’appelait anciennement la ville du Moule en Guadeloupe, demeure imprécise. Des fouilles archéologiques du département de l’université de Leiden des Pays-Bas ont révélé l’existence d’un cimetière  de Caraïbes comme il a été dit dans la presse de l’époque, mais également a priori également de sépultures vikings, et donc de la présence probable d’une implantation de Vikings à la Pointe des châteaux notamment à l’Anse à la gourde sur le territoire de la commune de Saint-Francois. Ayant un doute sur la véracité du récit de la découverte d’un site uniquement caraïbe à l’Anse à la gourde, j’ai décidé de rencontrer personnellement ces archéologues hollandais dans les années 90 qui m’ont présenté, après toutefois de fortes réticences de Corinne Hoffman, le chef de la mission archéologique, les sépultures et objets trouvés sur le lieu des fouilles, mais à ce jour pour des raisons que j’ignore cette découverte est restée jusqu’ici secrète et les travaux de recherche archéologique n’ont jamais fait l’objet d’une publication. Mais alors se pose forcément la question de savoir pourquoi des archéologues hollandais sont venus pratiquer des fouilles archéologiques sur un site où nulle part il n’était  mentionné une présence amérindienne à l’Anse à la gourde. Corinne Hoffman avait-elle en sa possession des indices attestant de la présence de Vikings en Guadeloupe ? Pourquoi après les fouilles, le site a-t-il été totalement recouvert de sable et laisser en jachère ? Pourquoi les objets et vestiges trouvés n’ont jamais été exposés en Guadeloupe et sont toujours actuellement détenus par la Hollande qui il faut le souligner a été occupée un temps par les Vikings ?

Nul doute que la clé de la réponse à ces questions devrait se trouver dans les archives des pays scandinaves et de la Hollande. Mais alors pourquoi les Vikings sont-ils venus en Guadeloupe ? Tout simplement d’après nos recherches historiques pour y exploiter des salines. Dans le monde entier et de tous temps l’homme a recherché le sel, c’est un bien de première nécessité, nécessaire dans l’alimentation humaine, indépendamment de toutes considérations concernant la conservation des produits qui est la deuxième raison de l’importance traditionnelle du sel. Au cours de la période historique, les Vikings ont occupé et transformé le marais naturel de la baie du Moule (Porland) et un lieu-dit au bout de la Pointe des châteaux, pour la production de sel marin, créant ainsi un paysage géométrique singulier qui subsiste toujours dans plusieurs zones de la grande terre malgré le déclin et l’abandon depuis des lustres, des salines traditionnelles, et leur reconversion à d’autres usages. Ainsi, il est avéré que la pointe des châteaux était un lieu privilégié pour la production de sel marin.

Le sel était, comme on le sait, l’or blanc de l’époque ancienne (le sel avait la même valeur que l’or) et un élément indispensable pour le développement correct de l’activité osmotique de la plupart des espèces et de la vie. Au cours de la préhistoire les hommes en ingéraient directement en consommant de la viande, mais, au néolithique, survint une importante transformation dans les pratiques alimentaires : les viandes et poissons salés pour des raisons de conservation devinrent la base de la subsistance des nouvelles sociétés vikings. Le déficit en apport de sels pour la santé et les nécessités résultant de la conservation des aliments carnés et poissons, ont contraint les Vikings à rechercher des salines dans le nouveau monde pour l’obtention de grandes quantités du précieux chlorure de sodium. C’est dans ce contexte de relations socio-économiques qu’est née la culture du sel dans les Caraibes, de plus en plus présente dans la vie des êtres humains, à tel point que, comme l’écrivait dans son Histoire naturelle Pline l’Ancien, géographe romain du 1er siècle, une vie sans sel ne pouvait être concevable dans la société antique. Jusqu’à l’avènement de l’industrie du froid, viandes et poissons salés furent pour les hommes la base de l’apport en protéines, et une telle situation nécessitait la recherche de salines. C’est cela qui a conduit les Vikings à explorer le nouveau monde et la région Caraïbe. Comment l’homme viking a-t-il découvert que le sel pouvait conserver la viande ou le poisson ou d’autres nombreux produits ? On peut penser que très rapidement après la découverte du sel, les Vikings ont pris conscience que le sel pouvait être absolument vital pour conserver leur  nourriture et ainsi pour protéger de la faim leur famille ou leur tribu lors des périodes défavorables à l’agriculture comme l’hiver qui était long et rude en pays scandinave. Très tôt, on imagine bien que le mystérieux sel a dû faire envie à ceux qui n’en avaient pas ; il a certainement très tôt fait l’objet de troc et de commerce. Et si toute cette saga recelait une part de vérité notamment à travers l’histoire de la présence incontestée des Suédois descendants des Vikings à l’île de Saint-Barthélémy où l’on retrouve la présence de nombreuses salines ? Selon la saga des Groenlandais, c’est Leif Eriksson, le fils d’Erik le Rouge, qui établit une base au Vinland (appellation viking d’une région de l’Amérique du nord) après avoir découvert deux autres contrées, le Helluland et le Markland. La carte du Vinland est une mappemonde qui daterait du XVe siècle et qui est conservée à la bibliothèque Beinecke de Yale. Elle a pour particularité de montrer des terres considérées comme inconnues à cette époque, dont notamment une île dénommée Vinlanda insula. Il est probable qu’aux latitudes les plus septentrionales le plus fort niveau d’insolation et les moindres précipitations aient constitué des facteurs favorables à l’utilisation précoce par les Vikings de l’énergie solaire dans le processus d’évaporation des saumures pour obtenir du sel. Le sel, c’est-à-dire le sel ordinaire ou chlorure de sodium, est un cristal ionique comportant des ions sodium Na+ et des ions chlorure Cl-. Il est très important pour l’espèce humaine comme pour toutes les espèces vivantes. Chez l’homme, la carence en sel peut amener jusqu’au coma et à la mort .

Le sel permet de corriger un menu comportant essentiellement des végétaux. Il a facilité l’adoption de l’agriculture et de l’élevage et son utilisation s’est étendue à d’autres techniques typiques d’un mode de vie sédentaire . C’est donc l’un des piliers des révolutions néolithiques et partant, des civilisations.

Cependant à l’époque, le sel était souvent difficile à obtenir et cher. Il a donc été l’objet d’un commerce important et parfois de taxations dans beaucoup de pays et notamment en France. Depuis le Moyen âge, la gabelle désigne un impôt sur le sel : une ordonnance royale de Philippe VI, en mars 1342, impose un monopole d’État sur les ventes. Il y a quelques siècles, le sel est l’or blanc et c’est même une denrée de première nécessité car il est presque le seul moyen de conserver les aliments. Cette situation entraînait donc une recherche effrénée de salines à exploiter. La cristallisation du sel par évaporation de l’eau des saumures au soleil n’était à l’époque des Vikings, possible que dans les régions suffisamment chaudes et ensoleillées. Le sel était tout d’abord destiné pour les Vikings (qui vivaient quasi exclusivement de chasse et pêche), à l’alimentation et à la conservation des aliments. Il aussi été rapidement utilisé pour des activités artisanales. Dès l’origine, le sel a donc été une activité industrialisante. Le sel  a aussi été utilisé comme monnaie et instrument de rites religieux, par les Vikings et donc tout cela va laisser des traces en Guadeloupe et dans certaines îles de la Caraïbe.

Le lexique créole comporte plus de 50 termes d’origine scandinave qui ont ou qui sont utilisés en Guadeloupe depuis l’époque des Vikings comme par exemple : zayand, tchouler, bik, varech, rog a pwason, hak, fak, fal, pann, biten, bita, titak, chouk, hazyé/rasyé, etc. Par ailleurs, il semblerait que le racoon (raton laveur), animal originaire de l’Amérique du nord aurait été introduit en Guadeloupe par les Vikings. La genèse de l’histoire ancestrale des contes créoles serait aussi selon toute vraisemblance d’origine viking. Ainsi l’onomatopée krik krac qui commence tous les contes créoles est une expression de l’ancien scandinave kriki datant de 1336. Krik krak signifie conter, raconter des histoires qui ne sont pas vraies autour d’un feu en cercle et dans un cirque au sens d’une baie, donc proche de la mer, ce qui est indéniablement une très ancienne tradition viking. Il est très vraisemblable qu’il y a eu une longue cohabitation entre Vikings et Caraïbes.

Je tiens l’origine de ces mots créoles d’origine vikings de mon grand-père paternel originaire du Moule qui était l’un des derniers purs Caraïbes de la Guadeloupe et qui m’a légué par les mystères de la génétique mon phénotype singulier de Guadeloupéen ainsi que mes yeux bridés. Par ailleurs, je subodore que les blancs matignon, dont l’origine n’a jamais été prouvée, pourraient être les lointains descendants de la lignée des premiers vikings qui exploitaient comme des forçats les salines (d’où la grande pauvreté ancestrale de cette communauté de petits blancs marginalisés après l’abandon de la culture du sel en Guadeloupe)  et ce sans en avoir la preuve formelle, sauf à conduire une campagne de test ADN Guadeloupe/Scandinavie.

Je fais état de cette saga du sel des Vikings pour bien montrer que l’histoire peut très bien des siècles après se répéter dans notre région. En effet, lors d’un voyage en Norvège un des pays vikings , j’ai eu l’occasion de rencontrer un économiste norvégien travaillant pour le fonds souverain du pétrole de la Norvège, et qui m’a mis la puce à l’oreille sur l’existence des nodules polymétalliques dans une partie de l’océan Atlantique et Pacifique. Les nodules polymétalliques : derrière ce terme abscons se cache l’une des dernières frontières infranchissables pour l’appétit humain en ressources naturelles. Et puis récemment mon intérêt pour la question de l’exploration des grands fonds marins et l’exploitation des nodules polymétalliques a été indubitablement renforcé par  une déclaration du président de la République Emmanuel Macron, cité par Outremers360, à savoir que l’exploration des grands fonds marins fait partie des priorités du plan d’investissement France 2030. Ainsi Emmanuel Macron a rappelé que la France possède, grâce à ses Outre-mer, le deuxième espace maritime au monde après les États-Unis. Emmanuel Macron a annoncé que deux milliards d’euros sur cinq ans, soit 240 milliards de francs, seront consacrés à l’exploration des fonds sous-marins mais aussi à l’espace. Le président de la République a tenu à préciser qu’il parlait bien d’exploration et non d’exploitation.

Mais l’exploration pourrait bientôt ouvrir la voie à l’exploitation.

J’ai donc effectué différentes recherches à partir de cartes marines de la Guadeloupe sur ces fameux nodules polymétalliques dont d’importants gisements seraient  susceptibles de se trouver en Guadeloupe et plus exactement selon mes propres paramétrages dans le canal de La Désirade. Située à 16°20 de latitude nord et 61°03 de longitude ouest, l’île de La Désirade est la plus ancienne des Petites Antilles. Qualifiée de plus vieille île des Caraïbes, La Désirade viendrait-elle du Pacifique où abondent les nodules polymétalliques ? En tout cas, elle ferait partie d’un arc qui aurait précédé de plusieurs millions d’années l’arc volcanique plus récent des Petites Antilles.

À l’heure actuelle, il est impossible de dire avec certitude si ces métaux existent bien dans la ZEE de la Guadeloupe,  mais il est fort probable que le canal de La Désirade qui comporte des hauts-fonds abyssaux de 2000 à 4000 mètres de profondeur puisse recèle de tels gisements de nodules polymétalliques. Or c’est là à cette profondeur que se situent dans les abysses, les gisements de nodules polymétalliques. Évidemment ce ne sont que des estimations, basées sur des cartographies, et des analyses préliminaires du substrat géologique de La Désirade. Elles donnent cependant des ordres de grandeur crédibles et conditionnent toute prospection approfondie et toute mise en exploitation de nodules sur la zone du canal de La Désirade. Les nodules polymétalliques, un enjeu majeur de richesses futures pour la Guadeloupe ? Riches surtout en fer, manganèse, cuivre, nickel et cobalt, les nodules polymétalliques des fonds marins pourraient constituer une ressource minérale stratégique pour la Guadeloupe. La Guadeloupe possède un vaste domaine maritime. Et dans ses abysses, on pourrait trouver des matières premières qui sont indispensables aujourd’hui aux nouvelles technologies : les nodules polymétalliques. Ces concrétions rocheuses de la taille d’une boule de billard et vieilles de plusieurs millions d’années sont très riches en zinc, cuivre, fer, cobalt, titane, or et zirconium. Des matériaux utilisés dans les smartphones, les panneaux solaires, les circuits électroniques. Ce sont des minéraux stratégiques, servant également dans l’industrie lourde, le bâtiment ou dans la production de biens de consommation courante (informatique, batteries électriques ). Dans un contexte d’épuisement des ressources terrestres il n’a pas fallu longtemps pour que des mains se tendent vers le fond de la mer. Éveillant l’intérêt des acteurs économiques depuis les années 70, ces ressources minérales riches en métaux rares constituent aujourd’hui un enjeu stratégique pour les différents pays pouvant procéder  à leur exploitation au demeurant extrêmement onéreuse ; les procédés de ramassage peuvent cependant avoir un impact négatif sur la faune et la flore, les procédés utilisés pouvant modifier les conditions physico-chimiques des fonds marins.

Les premières études exploratoires et pré-industrielles ont eu lieu dans les années 70 : les premières images rapportées par le submersible habité Nautile de l’Ifremer révèlent à un endroit, de l’océan tenu secret, des champs entiers de nodules polymétalliques, faisant penser à un eldorado attendant qu’on se baisse pour les ramasser. Les connaissances acquisent jusqu’à présent permettent de classer les nodules polymétalliques parmi les minerais d’intérêt économique méritant une attention particulière de la part des sociétés minières. En 2015, une équipe de chercheurs de l’université de Hambourg et du Helmholtz Centre for ocean research à Kiel est allée prélever des organismes des fonds abyssaux mais au lieu de cela, les océanographes et biologistes du vaisseau de recherche allemand Sonne ont remonté des nodules de manganèse de la taille de boules de billard. Ils ont ainsi découvert par hasard le plus grand champ de “nodules polymétalliques” de l’océan Atlantique, dont l’étendue totale est encore inconnue. Les premières campagnes s’intéressent donc à la faisabilité technique et aux rendements à atteindre pour garantir une compétitivité de la ressource.

Aussi un robot a été prototypé pour s’enfoncer à 4000 mètres de profondeur sous l’océan pour récupérer ces nodules. Or cette exploration présente des risques pour l’écosystème, d’où un gros problème au niveau de l’exploitation au vu des technologies actuellement existantes. Déjà, ce robot expérimental a pu explorer et éclairer cette zone qui est en permanence plongée dans le noir absolu, ce qui pourrait provoquer des perturbations. Ensuite, en ramassant les nodules, le robot va remuer les sédiments et peut-être provoquer des déséquilibres dans cette vie sous-marine. Les techniques d’exploitation ne sont pas encore au point malgré la concurrence sur la recherche de pays comme la Chine, les États-Unis, le Canada, la Norvège, l’Angleterre et la France. C’est pourquoi, avant toute exploitation, les instances internationales obligent à mener des études d’impact sur l’environnement. Derrière cet engouement politique pour l’océan, des enjeux économiques et stratégiques existent. En plus des avancées scientifiques, l’exploration des fonds marins français – qui s’étalent sur plus de 10 millions de km2 – peut s’avérer intéressante sur le volet économique si les ressources venaient à y être exploitées dans le futur. C’est “un levier extraordinaire de compréhension du vivant, d’accès à certains métaux rares et d’innovation“, a avoué le président de la République. Ce qui est sûr c’est que jusqu’à présent le ministère en charge des mines n’a jamais souhaité s’exprimer sur ce dossier des nodules polymétalliques. Cette affaire semble donc relever sinon du secret d’État, d’une certaine opacité de la part des autorités françaises.

Des  a priori, nous en avons tous sur l’économie et l’histoire, mais quelques-uns sont très ancrés. Et notre culture et notre histoire nous poussent à nous méfier des enjeux politiques et économiques, mais pour ce qui nous concerne ces enjeux d’hier et d’aujourd’hui doivent être revisités par la prospective entendue comme la discipline qui vise à anticiper sur l’avenir. Et là réside le fond de notre pensée. Pour autant, nous considérons avec Aristote que “seul un esprit éduqué peut comprendre une pensée différente de la sienne sans avoir à l’ accepter.”

 

Jean-Marie Nol

Économiste

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