Depuis plus d’une semaine la Nouvelle-Calédonie est en état insurrectionnel. Des barrages ont été érigés sur tout le territoire par les indépendantistes. Plusieurs centaines de maisons et entreprises ont été incendiées. Après une semaine de troubles, des centaines de blessés sont dénombrés. Trois Kanaks, un Européen et deux gendarmes ont été tués depuis le début des révoltes le 13 mai dans l’archipel. Des forces de l’ordre en nombre ont été dépêchées sur place dès le 14 mai, des militaires aussi, afin de « rétablir l’ordre », priorité affirmée du gouvernement Attal.
À l’origine de cet embrasement, le vote de la réforme du corps électoral calédonien intervenu le 15 mai à l’Assemblée nationale à Paris, qui donne le droit de vote aux prochaines élections provinciales, à 25 000 habitants du territoire, tous ou presque, des Hexagonaux installés en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans. Cette loi rendra de facto, les Kanaks politiquement minoritaires sur leur terre.
Le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou (3e à partir de la gauche photo ci-dessus), et le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan (au centre), ont assisté à une réunion avec le Président français Emmanuel Macron (2e à partir de la droite), des élus de la Nouvelle-Calédonie et des représentants locaux à la résidence du Haut-commissaire français Louis Le Franc à Nouméa, hier 23 mai. La visite politiquement risquée d’Emmanuel Macron vise à désamorcer une crise après neuf jours d’émeutes ayant fait six morts et des centaines de blessés. La décision soudaine du président français de se rendre dans l’archipel du Pacifique sud-ouest, est un signe de la gravité avec laquelle le gouvernement perçoit la violence pro séparatiste.
Des Ultramarins appellent au retrait
Les présidents de plusieurs collectivités d’Outre-mer ont, le dimanche 19 mai dans une tribune envoyée à l’Agence France presse (AFP), exigé le retrait immédiat de cette réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. « Nous, élus des Outre-mer, demandons solennellement au gouvernement le retrait immédiat du projet de loi de réforme constitutionnelle visant à changer le corps électoral pour les élections en Nouvelle-Calédonie-Kanaky, comme préalable à la reprise d’un dialogue apaisé » précise le texte de la tribune.
Ont signé : les exécutifs de la Région Réunion (Huguette Bello), des collectivités territoriales de Martinique (Serge Letchimy) et de Guyane (Gabriel Serville). Manque à l’appel, le président de la Région Guadeloupe, Ary Chalus. Au départ, l’AFP l’a annoncé signataire de la tribune, avant de préciser que l’entourage d’Huguette Bello a infirmé l’information.
Ary Chalus a certifié dans un communiqué qu’il n’avait pas signé la tribune. Il s’est rangé à un appel au calme et a rappelé « l’importance de l’accord de Nouméa de 1998 qui avait instauré un processus de décolonisation et d’évolution institutionnelle ». Dans le milieu nationaliste guadeloupéen, la décision de l’exécutif régional de se dissocier de l’appel au retrait de la réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie passe mal.
Joint au téléphone Wonal Selbonne dirigeant de l’Alyans nasyonal gwadloup (ANG) a dans un premier temps indiqué qu’il ne comprenait rien au communiqué d’Ary Chalus. « On a dû faire pression sur lui pour qu’il sorte un tel communiqué. Avec ses casseroles judiciaires c’est fort possible », a conclu Wonal Selbonne.
Sur la radio RCI mercredi 23 mai, Ary Chalus a expliqué que les initiateurs de la tribune n’avaient pas réussi à le contacter et qu’il n’avait donc pas signé la tribune. Ce qu’a également affirmé l’entourage d’Huguette Bello à l’AFP. Le président du conseil régional a expliqué sur RCI qu’il avait eu Emmanuel Macron au téléphone. « Je lui ai dit que je comprends la position des Kanaks en tant que colonisé moi-même », a-t-il rapporté. Une information que le service de presse de l’Élysée que nous avons interrogé n’a pas confirmé à l’heure où nous publions. Ary Chalus a indiqué également qu’il a demandé au président de la République de ne pas convoquer le Congrès et de mettre en place une cellule de médiation.
Pour sa part, Guy Losbar président du conseil départemental de Guadeloupe, a signé la tribune. Or, le 2 avril dernier, deux sénateurs de son parti politique GUSR, Dominique Théophile et Solange Nadille, votaient au Sénat pour le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Le troisième sénateur guadeloupéen, le socialiste Victorin Lurel, a quant à lui voté contre. Monsieur Lurel n’a pas signé l’appel au retrait immédiat de la réforme. Pour expliquer sa position, Victorin Lurel a indiqué au Courrier de Guadeloupe que « le Président de la République n’a pas le pouvoir de retirer une loi qui a été votée. Appeler au ‘retrait immédiat’ n’a pas de sens ». Une approche de juriste constitutionnaliste, qui ne répond pas à l’invitation de prendre une position politique à l’attention du président de la République, du gouvernement, de l’opinion publique ? Il faut qu’on arrête de mépriser les lois, nous Ultramarins sommes trop souvent la risée de nos collègues parlementaires par notre manque de maîtrise des fonctions et des règles institutionnelles a-t-il argumenté en substance.
Le texte est paraphé aussi par près d’une vingtaine de parlementaires représentant les territoires ultramarins, mais aussi par le représentant de la Polynésie française, ceux de Saint-Martin (Louis Mussington) et Saint-Barthélemy (Xavier Lédée). Près d’une vingtaine de parlementaires représentant d’autres territoires ultramarins ainsi que le député européen réunionnais Younous Omarjee se sont joints à cet appel. Les députés guadeloupéens Élie Califer, Max Mathiasin et Olivier Serva qui avaient déjà voté le 15 mai contre la réforme du corps électoral calédonien à l’Assemblée nationale, ont signé l’appel au retrait de la réforme.
Les signataires de la tribune affirment « qu’une solution politique est la seule voie pour mettre fin à l’escalade de la violence et prévenir une guerre civile. Ils dénoncent la réponse sécuritaire du gouvernement, qui consiste à instaurer des mesures exceptionnelles telles que des interdictions de circulation, des assignations à résidence, des perquisitions et le déploiement de forces de l’ordre supplémentaires ». Selon eux, « ces mesures répressives risquent d’aggraver la situation et de compromettre le retour au calme ».
Outre Ary Chalus qui n’a pas signé le texte, les représentants de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Mayotte, et le président du Département de La Réunion ne l’ont pas signé non plus.
Décolonisation et autodétermination
La gauche, une partie de la droite, et désormais le Rassemblement national, les trois anciens Premiers ministres Édouard Philippe, Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault, les présidents des deux assemblées, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, la maire de Nouméa (Renaissance), les présidents de La Réunion, Martinique, Guyane, le président du conseil départemental de la Guadeloupe, toutes ces personnalités politiques peu ou prou prônent une pause dans le processus actuellement enclenché.
Emmanuel Macron qui s’est déplacé en Nouvelle-Calédonie a indiqué son intention de ne pas faire la réforme du corps électoral calédonien passer en force. Une déclaration faite dans un discours qui n’est pas vraiment conciliant. Il prend même parfois des allures guerrières : « Nous allons reprendre pas à pas chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage », a énoncé Emmanuel Macron.
Le président de la République a affirmé aussi que « cette réforme [sur le dégel du corps électoral] a une légitimité démocratique ». Sauf que la France est en conflit reconnu avec les indépendantistes calédoniens. Le dernier cessez-le-conflit signé en 1998 sous le nom des accords de Nouméa, prévoyait un processus de décolonisation et d’autodétermination. Un processus mené « avec un accompagnement international pour garantir la transparence et l’équité ».
Plusieurs étapes devaient permettre à la population de se prononcer sur son avenir politique. Y compris la question de l’indépendance, qui n’est qu’une question parmi d’autres. Mais non compris, la réforme du corps électoral. Cette réforme, et avant elle la tenue du 3e référendum alors que les Kanaks en deuil coutumier l’avaient désapprouvé, est contraire à la garantie prise lors des accords de Nouméa de « garantir la prise en compte des spécificités culturelles et des intérêts des populations autochtones tout au long du processus ».
Loin, de reconnaître « le rôle central des populations autochtones » la réforme organise la dilution des autochtones dans le corps électoral. En ligne de mire, il y a la mainmise sur les institutions de gouvernance locale, gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et assemblées provinciales.
Sonia Backès, présidente de la région Sud de Nouvelle-Calédonie, porte-parole des pro-France qui se font appeler « loyalistes » a déclaré après les annonces d’Emmanuel Macron : « On est rassurés qu’il n’y ait pas d’abandon de cette réforme, ni suspension, ni report ». Le député du même bord Nicolas Metzdorf, qui a porté la loi controversée à l’Assemblée nationale, ne dit pas autre chose : « Sur le texte, il (N.D.L.R. le président de la République) respecte le calendrier initial, puisqu’il a dit qu’il n’y aurait pas de passage en force dans un premier temps. Il n’y a ni retrait, ni suspension. On essaie de trouver un accord, et on fait le point dans un mois. Dans un mois, on voit s’il y a accord ou pas et le président prendra ses responsabilités. »
Emmanuel Macron a dicté sa volonté. Le chef de l’État a suspendu la reprise du dialogue à un « retour au calme ». Il a exigé des responsables indépendantistes kanaks qu’il a rencontré « la levée immédiate de tous les barrages » et demandé notamment au parti indépendantiste FLNKS et à la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) « un appel clair à ces levées ». Ce n’est qu’un tel appel, qui plus est suivi d’effet, qui pourrait conduire à la levée de l’état d’urgence, a indiqué le chef de l’État. Du côté indépendantiste, il n’y a eu aucune réaction officielle pour l’instant.
De fait, Emmanuel Macron, le gouvernement Attal et les parlementaires qui ont voté pour la réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, ont enterré les accords de Nouméa et cherchent « un accord », un troisième accord de fait, dont nul ne dit ce qu’il contiendra.
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