Le rapport parlementaire consacré au chlordécone et aux dégâts provoqués par les algues sargasses en Guadeloupe et en Martinique a été présenté à l’Assemblée nationale mercredi 29 mai. La séance de présentation de ce rapport a été ouverte par Nicolas Sansu, député communiste du Cher et rapporteur spécial de la mission portant sur la gestion par l’État des crises du chlordécone et des sargasses (photo ci-dessus).
Après une brève introduction sur les deux dossiers, Nicolas Sansu a immédiatement signalé que « l’indemnisation actuelle des victimes du chlordécone ne répond en rien à la quête légitime de réparation des populations antillaises ». Il a proposé d’intensifier le volume d’indemnisation des victimes et de créer un nouveau fonds mieux doté.
C’est en présence de Marie Guévenoux, ministre déléguée à l’Outre-mer, et devant un maigre public et de nombreuses chaises vides que Nicolas Sansu a défendu les 22 propositions du rapport. Certaines visent à réformer le système actuel de dédommagement des victimes et à instaurer un nouveau fonds indépendant, similaire à celui dédié aux victimes de l’amiante. Pour assurer son financement, le rapporteur propose d’imposer une contribution spécifique aux grands cultivateurs de bananes antillais et d’augmenter la taxe sur les produits phytosanitaires.
Le chlordécone, utilisé jusqu’en 1993 dans les cultures de bananes aux Antilles françaises malgré des alertes sanitaires, est associé à une prévalence accrue de certaines pathologies, notamment la maladie de Parkinson et le cancer de la prostate. Selon l’enquête menée par Nicolas Sansu, 66 victimes du chlordécone (une vingtaine en Guadeloupe et une quarantaine en Martinique) sont actuellement indemnisées par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIPV), créé en 2020 par l’État, pour un montant global annuel de 197 000 euros, soit environ 3 000 euros par personne et par an, soit 250 euros par personne et par mois. Une somme dérisoire !
Les conclusions et recommandations de Nicolas Sansu corroborent les observations formulées par les associations et les élus locaux. Pour être indemnisées, les victimes doivent être reconnues comme atteintes d’une maladie professionnelle liée à l’exposition à un ou plusieurs pesticides. Cependant, selon le député guadeloupéen Élie Califer, il y aurait 12 700 travailleurs de la banane aux Antilles et seuls 150 dossiers ont été reçus. Sur ces dossiers, 80 ont donné lieu à des accords, tandis que les réponses pour les autres sont en cours. « C’est nettement insuffisant. Parce que nous sommes simplement dans le cadre d’un plan. Il faut aller plus loin et plus vite avec des efforts un peu plus massifs de l’État », déclare le député.
La première étude Kannari, conduite en 2013 et 2014, a indiqué que le chlordécone était détecté chez plus de 90 % des adultes antillais. Sur la base de ces prélèvements, il a été récemment estimé que 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassaient la valeur toxicologique de référence interne définie par l’Anses (0,4 µg/L), correspondant à la concentration de chlordécone dans le sang pouvant provoquer des effets néfastes.
Les solutions préconisées par le rapport visent à combler les insuffisances de l’indemnisation actuellement en vigueur. Le rapporteur recommande également un élargissement du périmètre des victimes indemnisées, en créant le statut de « victimes environnementales », destiné aux « personnes malades qui ont été exposées au chlordécone en dehors d’un cadre professionnel », sans fournir d’estimations du nombre de victimes potentielles reconnues à ce titre. Actuellement, le Fonds pour les victimes n’autorise l’indemnisation que des seuls travailleurs agricoles et des enfants exposés avant leur naissance.
Pour renforcer la prise en charge des maladies liées à ce pesticide, le parlementaire préconise, entre autres, un contrôle renforcé des « circuits informels de distribution alimentaire » pour surveiller la présence de chlordécone dans les cultures privées, et souhaite allonger les délais de prescription pénale à l’avantage des victimes du chlordécone. Nicolas Sansu devrait présenter son rapport le 12 juin prochain à l’Assemblée nationale. Il soumettra à cette occasion une proposition de résolution pour « la création d’un Observatoire antillais de la santé environnementale » afin de coordonner la surveillance, la recherche et la gestion des crises liées au chlordécone et aux sargasses. Rappelons que les populations antillaises présentent les taux d’incidence de cancer de la prostate les plus élevés au monde.
Sargasses : un scandale sanitaire, environnemental et économique
Quant au fléau des sargasses, le rapporteur spécial a indiqué que « le niveau d’investissement reste très inférieur aux besoins sur le terrain pour assurer une réponse opérationnelle suffisante en cas d’afflux important de l’algue brune ». Pour appuyer son propos, Nicolas Sansu a expliqué que « les deux préfectures Guadeloupe et Martinique mobilisent leur dotation de droit commun telle que la dotation d’équipement des territoires ruraux pour faire face aux sargasses ». Afin d’augmenter le financement de la lutte contre les sargasses, Nicolas Sansu propose « d’accroître significativement les financements mobilisés pour l’acquisition de matériels spécialisés mais aussi pour le coût de la maintenance et du fonctionnement des communes ».
Pour abonder le financement du traitement des sargasses, le rapporteur spécial préconise de créer une taxe additionnelle sur la taxe de séjour qui pourrait rapporter entre 2 et 2,5 millions d’euros. Nicolas Sansu a également mis en garde contre le risque de trois scandales : un scandale sanitaire qui pourrait survenir si rien n’est mis en place pour assurer la protection des ouvriers qui ramassent les algues. Un scandale environnemental parce que les sargasses sont stockées sur des sites improvisés dans l’urgence, pouvant contaminer les sols en arsenic.
Enfin, un scandale économique car, les sargasses entraînent une détérioration des matériels électriques, des appareils électroménagers et une dévalorisation des biens immobiliers. Nicolas Sansu se montre très impliqué sur les deux dossiers. Il exhorte l’État via la ministre à donner une réponse forte aux deux problèmes, car selon lui, les enjeux sont trop importants. Il cite un texte tiré du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire en guise de conclusion : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».
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