Le Gosier, vue aérienne de la plage des salines, mangrove à l'arrière-plan

Les salines au Gosier, son célèbre morne emprunté par la route nationale, sa plage de sable blanc fin sur 500 mètres, sa barrière de corail au large, sa mangrove à l’arrière-plan… et ses échouages massifs d’algues sargasses. Pendant quatre jours jusqu’au 15 novembre, le site a été le support de travail des 25 participants de Guadeloupe, de La Réunion, de La Martinique, de Polynésie et de l’Hexagone du projet Adaptom pour une restitution des premiers résultats de leurs travaux.

Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que les sargasses échouées et laissées sur place depuis trois ans se sont agglomérées au sable et ont permis de reconstituer la plage sur une dizaine de mètres. « Le trait de côte avance et recule, mais la résilience de la dune de sable est renforcée » assure Didier Lambert, chargé de la gestion et de l’aménagement pour le Conservatoire du littoral. La plage, protégée, a cessé de perdre du terrain et en regagne.

Didier Lambert, chargé de la gestion et de l’aménagement pour le Conservatoire du littoral.

Haro sur le passé

Depuis 2011, la réponse à l’échouage des sargasses en Guadeloupe comme en Martinique a été le ramassage industriel, avec camion benne, pelle mécanique, en vue d’un épandage pour séchage sur des terrains d’arrière-plan. Il fallait répondre dans l’urgence aux attentes des riverains suffoquant sous les odeurs de putréfaction et d’émanations de sulfure d’hydrogène et d’ammoniac des sargasses en décomposition sur le littoral. « Nous nous sommes rendu compte qu’avec les sargasses, les engins ramassent 50% de sable lorsqu’ils enlèvent les échouages » détaille Didier Lambert. Le remède s’est révélé pire que le mal.

En ce qui concerne la préservation des habitations fortement exposées à la houle, les pratiques du passé se sont aussi révélées néfastes. Les ouvrages de défense lourde, comme les digues, murs ou enrochements, souvent mal conçus, sous-dimensionnés, peu ou pas entretenus donc pas efficaces, ont entraîné selon Virginie Duvat-Magnan de la « maladaptation », en aggravant l’érosion à proximité. La professeure de géographie à l’université de La Rochelle est l’une des autrices du chapitre sur les petites îles du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publié le 20 mars 2023. Elle coordonne depuis 2 ans le projet Adaptom qui recense une trentaine de projets pour lutter contre l’érosion côtière et la submersion marine Outre-mer.

Travailler avec la nature

Les objets d’étude d’Adaptom sont des « solutions qui travaillent avec la nature, plutôt que contre elle« , a expliqué à l’AFP Astrid Abel, animatrice régionale d’un projet porté par l’Office français de la biodiversité et qui vise à valoriser et renforcer ces méthodes de gestion ou de restauration des écosystèmes, en vue d’adapter les territoires à la crise climatique.

En Guadeloupe, le recul du trait de côte est inéluctable, tout comme le risque de submersion marine, estimé pour certaines zones jusqu’à 180 jours par an d’ici à 2050.

Pour les solutions fondées sur la nature, « on n’a pas vraiment, à ce stade, de preuve qu’elles permettent de réduire le risque côtier : il manque des données« , tempère Virginie Duvat-Magnan. La chercheuse maintient un fort niveau d’alerte : les réponses politiques en matière d’adaptation au changement climatique ne sont toujours pas à la hauteur du défi posé par l’accélération du changement climatique et de ses impacts. Elle encourage les acteurs à augmenter la recherche sur le sujet de l’adaptation, et améliorer la coordination.

Des politiques publiques insuffisantes

Les politiques locales d’adaptation sont indispensables mais restent « très insuffisantes », selon Virginie Duvat-Magnan, qui regrette des « capacités humaines de gestion des risques et d’adaptation inférieures à ce qu’on trouve en métropole ». Il est indéniable que des efforts ont été déployés au cours des deux dernières décennies pour relocaliser les habitants et les activités, malgré les contraintes liées aux coûts et à la disponibilité des terrains.

Virginie Duvat-Magan, coordonatrice du projet Adaptom, professeure de géographie à l’université de La Rochelle, co-autrice du chapitre sur les petites îles du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)

À Petit-Bourg, une centaine de familles doit être délogée et relogée. À Sainte-Anne, Pointe-Noire ou Capesterre Belle-Eau, des zones habitées sont menacées à court terme. Ailleurs dans l’archipel, certains quartiers construits en zone inondable ou marécageuse comme Belle-Plaine et Grand-Baie au Gosier ou Jarry à Baie-Mahault sont régulièrement sous l’eau. Il y a donc urgence, dans les îles, plus qu’ailleurs en France, à se préparer au changement climatique et à en limiter ses effets.

À compter de 2040, les pouvoirs publics devront mettre en place des relocalisations, le déplacement de personnes ou d’activités dans des zones sûres. Selon Virginie Duvat-Magnan, « nous ne pouvons plus empêcher la montée des eaux, mais nous pouvons trouver des solutions pour que le dérèglement climatique impacte le moins possible le territoire des Antilles« .

Restaurer la végétation littorale

Dans l’archipel, plusieurs méthodes de restauration de la végétation sont en test, résultant d’appels à projets ou de réaction des gestionnaires de sites littoraux en déclin.

À Saint-François « l’étude de la végétation du bord de mer a mis en évidence son rôle dans le maintien du cordon sableux« , indique Jérémie Delolme, pilote du projet Plant’Aktyon qui tente de restaurer la végétation endémique, minée notamment par le piétinement des usagers de la plage. « On replante avec le concours d’écoliers des plantes rampantes, buissonnantes et arborées, pour favoriser le maintien du sable sur nos plages en fort recul« .

Virginie Duvat-Magnan tempère auprès des porteurs de projet : « Pour l’instant, on se cantonne à mesurer les taux de survie des végétaux qu’on plante et leur rythme de croissance. Or, c’est vital de mesurer à quel point ces écosystèmes restaurés sont capables d’atténuer la houle, de capter des sédiments, voire d’être aussi efficaces que des zones non abimées« . La chercheuse insiste sur la nécessité d’installer des outils de mesures permettant de comparer les données avec des zones non restaurées.

Replanter les coraux

Ailleurs, on essaie aussi de replanter les littoraux, comme à Port Louis. Selon de nombreuses études, ces écosystèmes favorisent la protection du littoral, quand leur perte en accélère drastiquement l’érosion. Le Giec prédit la mort de 99% des coraux du monde en cas de réchauffement de 2°C. Or les engagements actuels des Etats nous mènent vers une hausse du thermomètre de + 2,5°C à la fin du siècle.

« Nous travaillons sur des projets de solutions à l’érosion fondées sur la nature, sur les écosystèmes, pour atténuer l’impact du dérèglement climatique. Mais il faut bien comprendre que replanter des coraux et restaurer la mangrove ne suffiront pas si l’on ne cesse pas de polluer. Il faut régler le problème des déchets, de l’assainissement : au grand port maritime, les coraux replantés crèvent à cause des pressions humaines. Cela pose aussi la question des moyens que les acteurs publics, notamment l’Etat, sont prêts à mettre sur l’adaptation au changement climatique, et ce n’est pas à la hauteur des enjeux », a expliqué Virginie Duvat-Magnan.

Évaluer rapidement

Au total, dix projets en Guadeloupe et Martinique ont été évalués par l’équipe Adaptom. « C’est important d’évaluer, de vérifier rapidement » que ces solutions ne sont pas inadaptées, souligne Virginie Duvat-Magnan, rappelant que les solutions plus lourdes, comme l’enrochement, les constructions de digues ou d’épis pour protéger le littoral, ont souvent montré des effets inverses avec l’accroissement des pressions environnementales.

Carte des projets de solutions fondées sur la nature pour réduire les risques côtiers, étudiées par Adaptom en Guadeloupe

« L’idée, c’est vraiment d’apprendre des projets expérimentaux menés aux Antilles, et plus largement en Outre-mer, jusqu’à présent pour mettre en place des solutions fondées sur la nature« , a expliqué à l’AFP Virginie Duvat-Magnan. Reste un défi : sortir de l’expérimentation et passer à la grande échelle. Et faute de s’attaquer aux causes profondes de la dégradation des écosystèmes, comme les pollutions ou l’urbanisation, « certains de ces projets sont voués à échouer », avertit Virginie Duvat-Magnan.

Après la Guadeloupe, les scientifiques du projet Adaptom se rendront dans le Pacifique courant 2024.

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