Le ministre de l'Intérieur Géral Darmanin annonce que "tous les mineurs de moins de 18 ans ne pourront pas circuler dans les rues de Pointe-à-Pitre après 20 heures". Photo : FB La Ville de Pointe-à-Pitre

Initialement annoncé d’une durée de 2 mois à Pointe-à-Pitre, le couvre-feu imposé aux mineurs sera d’une durée d’un mois et concerne certains quartiers de Pointe-à-Pitre et Abymes. « Du 22 avril au 22 mai 2024, la circulation des mineurs non accompagnés d’un parent ou d’un adulte exerçant l’autorité parentale est interdite de 20 heures à 5 heures » peut-on lire dans l’arrêté préfectoral publié samedi 20 avril. Aux Abymes, les quartiers de Grand camp, Vieux-Bourg et l’Assainissement sont concernés. À Pointe-à-Pitre, il s’agit du centre-ville, Massabielle, Sous-préfecture, Victoire, Assainissement, Boisneuf, Tour Frébault-Henri IV, Raspail.

En bleu, le périmètre concerné par le couvre-feu du 22 avril au 22 mai.

Une mesure extrême qui tombe à pic

En visite officielle de deux jours en Guadeloupe pour faire le point sur la politique de sécurité publique et l’opération dite « place nette » de lutte contre la délinquance et plus particulièrement le trafic de stupéfiants, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur s’était avancé en déclarant jeudi 17 avril : « J’ai demandé, suite à une discussion avec Monsieur le maire et Madame la ministre des Outre-mer, à Monsieur le Préfet de prendre un couvre-feu pour les mineurs qui va s’appliquer à partir du début de semaine prochaine, pendant les deux prochains mois. Donc tous les mineurs de moins de 18 ans ne pourront pas circuler dans les rues de Pointe-à-Pitre après 20 heures. Et la police nationale appliquera à la lettre évidemment cette demande ».

La mesure applicable ce 22 avril intervient après une série de crimes et délits perpétrés à Pointe-à-Pitre, pas tous imputables à des mineurs. Un homme a été roué de coups et reçu des tirs de fusils lors d’un vol de bijoux dans le quartier de l’Assainissement vers 10 heures le 12 mars. Ylsa Cabrera, dite Maria, commerçante de 55 ans a été abattue dans son restaurant, lors d’un braquage vers 22 heures le 15 mars. Deux croisiéristes (une Écossaise et une Réunionnaise) et deux chalands ont été blessés par arme blanche par une SDF forcenée à la rue Frébault et ses environs vers 10 heures le 23 mars.

Dès le lendemain dimanche 24 mars, le maire Harry Durimel avait forcé le trait en qualifiant sa ville de coupe-gorge et en menaçant de démissionner. « Je viens de faire un tour dans Pointe-à-Pitre […] Je vois des petits malfrats, des mineurs souvent, qui font aussi des rondes, et qui probablement vont peut-être passer à l’action, et mettre encore la vie des gens en danger. Pointe-à-Pitre en l’état est un coupe-gorge. Sans force de l’ordre à la hauteur des défis. Une ville avec un port de croisière. Dimanche avec des centaines de personnes qui déambulent dans la ville sans aucune protection, parce que les quelques policiers municipaux que nous avons sont en train de protéger les agents de la ville qui travaillent le dimanche pour ramasser les détritus et les restes de poubelles brûlés par des gamins toute la nuit » dépeignit-il dans un audio diffusé via les réseaux sociaux.

Les ministres de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et des Outre-mer Marie Guévenoux en entretien à l'hôtel de ville de Pointe-à-Pitre avec le maire Harry Durimel.
Les ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et des Outre-mer Marie Guévenoux en entretien à l’hôtel de ville de Pointe-à-Pitre avec le maire Harry Durimel et le préfet Xavier Lefort.

Accompagné de Marie Guévenoux ministre déléguée aux Outre-mer, Gérald Darmanin pensait apporter une solution à l’augmentation de la violence des mineurs, avec l’instauration d’un couvre-feu de 2 mois qu’il estimait proportionné à la situation, de nature à rétablir l’ordre public, et respectueux des droits des citoyens. Une mesure extrême qui tombe politiquement à pic, dans un contexte où le gouvernement est perçu comme inefficace dans la lutte contre les violences.

Après plusieurs crimes et délits commis par des mineurs qui ont marqué l’opinion dans l’Hexagone, Gabriel Attal a déclaré que « la culture de l’excuse, c’est fini ». Le Premier ministre s’exprimait jeudi 18 avril dans le cadre d’un discours sur la lutte contre la violence des jeunes. Dans l’arsenal du pensionnaire de Matignon, l’ouverture d’un débat sur l’atténuation de l’excuse de minorité, la comparution immédiate à partir de 16 ans au lieu de 18 ans, le plaider-coupable à 13 ans au lieu de 18 ans, les travaux d’intérêt général pour les mineurs âgés de moins de 16 ans.

« La violence a décuplé »

Finalement, la copie a été revue à la baisse en Guadeloupe, et le couvre-feu sera d’un mois. La mesure n’avait pas manqué de susciter des commentaires négatifs. Olivier Nicolas premier secrétaire fédéral du PS s’est fendu d’un long communiqué dans lequel il explique que le couvre-feu « n’est ainsi en rien une réponse à l’insécurité et aux violences grandissantes dans la zone pointoise ». Selon lui, les exactions se déroulent en plein jour. De surcroît, les jeunes ne sont pas si nombreux dehors la nuit. Olivier Nicolas en conclut que le gouvernement via Gérald Darmanin a fait un coup de « com ».

Tonalité différente, celle d’un élu du Gosier qui n’est pas sûr que cette mesure soit efficace, mais qui se dit tout de même preneur : « La situation est grave. La violence est partout. Il faut donc tout essayer. Même si le couvre-feu n’est certainement pas la panacée. Le ver est dans le fruit et il faut effectivement exercer très tôt une plus grande fermeté à l’égard des jeunes, C’est aussi cela la prévention », opine-t-elle.

Henri Angélique est l’adjoint en charge de la sécurité à Pointe-à-Pitre. Interrogé par Le Courrier de Guadeloupe le 18 avril, il déplore les balbutiements et autres réunions reportées du Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) de Pointe-à-Pitre, mais n’accepte pas qu’on dise que le CLSPD, outil dédié principalement à la prévention de la délinquance, était en sommeil. « L’élu impulse mais il a besoin de personnels qualifiés qui assurent le suivi. Nous avons pu enfin engager une directrice de l’animation du territoire. Elle a mis en place des actions avec les associations sportives, les associations de parents d’élèves, un vrai travail est entrepris », plaide Henri Angélique.

L’élu cite encore la mise en valeur des quartiers pointois avec l’opération « Un mois, un quartier ». À cette occasion, les élus déambulent, recueillent les doléances, posent des diagnostics. L’objectif est de redonner vie aux quartiers. Tout cela ne l’empêche pas de dresser un tableau sombre de la situation : « La violence a décuplé. Nous n’avons plus affaire à la même jeunesse. Autrefois, les élèves respectaient les professeurs et leurs parents. Les jeunes avaient peur de la police. Ce n’est plus le cas. Traiter la violence aujourd’hui n’a rien de facile ».

Henri Angélique met en avant les efforts de la ville sur cet aspect sociétal. Il évoque le recrutement de huit nouveaux policiers municipaux. Ce qui permet à la ville d’assurer une brigade de nuit jusqu’à 21 heures. Après, c’est la police nationale qui prend le relais.

Il insiste surtout sur la coopération entre la police municipale et la police nationale à Pointe-à-Pitre. Il cite la brigade à vélos mise à disposition de la ville par la police nationale. Il parle aussi de ce qu’il appelle la coproduction entre les deux polices en présence du sous-préfet. Chaque vendredi le groupe de travail analyse tout ce qui s’est passé dans la ville au cours de la semaine écoulée, et les actions qui s’imposent sont mises en place. En somme, face à cette flambée de violence, selon l’élu, la ville n’est pas restée inerte.

Pointe-à-Pitre, Gosier, Abymes

Alors pourquoi la violence continue-t-elle à progresser ? Patrice Abdallah, secrétaire régional du syndicat Unité police interrogé le 18 avril, ne veut pas se prononcer sur le bien-fondé ou pas du couvre-feu imposé aux mineurs à Pointe-à-Pitre. Mais selon lui, le problème est ailleurs. « La violence est de plus en plus présente à Pointe-à-Pitre, au Gosier et aux Abymes. Les jeunes sont armés lourdement. Il y a des points de deal de plus en plus nombreux que nous n’arrivons pas à contrôler. Les gens se font agresser plus souvent. Le nombre indispensable de policiers pour endiguer cette vague de violence est-il suffisant ? C’est la seule question qui vaille. Et j’y réponds non ».

Lorsqu’on fait remarquer au syndicaliste que Gérald Darmanin a déclaré que les effectifs de police ont augmenté, sa réponse est cinglante : « Dire cela n’est pas sérieux. C’est une énorme contre-vérité ». Et Patrice Abdallah d’expliquer que la compagnie de CRS qui disposait de 190 agents a été remplacée par la compagnie départementale qui elle ne comptait que 120 membres. « C’était déjà un effectif moindre, mais nous arrivions encore à patrouiller. Aujourd’hui cette compagnie ne compte plus que 60 unités. Dîtes moi à quel moment les effectifs de police ont augmenté », interroge-t-il ?

Selon le syndicaliste, le problème de la sécurité et de la violence en Guadeloupe est d’abord un problème de moyens en hommes et en matériel. « Dans un pays ou la drogue est partout, nous avons une brigade « stup » qui compte cinq fonctionnaires, une équipe cynophile sans chien spécialisé pour les stupéfiants, une compagnie motocyclette avec trois motos ».

Patrice Abdallah bondit de sa chaise lorsqu’on lui parle de l’arrivée de nouveaux enquêteurs : « Le ministre annonce l’arrivée de nouveaux enquêteurs. Mais il ne dit pas que 25 vont partir parce qu’ils sont en fin de contrat ou parce qu’ils partent à la retraite ».

Patrice Abdallah un peu excédé parle de plus en plus vite et devient intarissable sur le manque d’effectifs : « La brigade grand banditisme compte dix agents, la brigade financière six. Il y a eu de nouveaux agents, mais c’était une maigre tentative de rattrapage qui n’a jamais été menée à bout. Ce n’est pas honnête d’annoncer l’arrivée de nouveaux policiers quand vous ne dîtes pas combien sont partis et que ceux qui sont partis sont plus nombreux ».

Patrice Abdallah dit avoir tout fait pour obtenir une audience auprès du ministre de l’Intérieur lors de son passage en Guadeloupe. Sans succès. « Nous avons officiellement sollicité le ministre. Nous sommes passés par le directeur de cabinet du préfet, puis par l’officier de sécurité du ministre. Les deux nous ont dit qu’ils transmettraient. Nous n’avons eu aucun retour. Or, le problème des moyens en hommes et en matériel c’est bien le cœur du sujet ».

Selon le syndicaliste, la mesure du couvre-feu est en décalage total avec la réalité. « La nuit on ne voit pas beaucoup de jeunes dans la rue. La mesure du couvre-feu ça ne mange pas de pain. Cela ne coûte pas un radis à l’État et cela fait du bruit. C’est un bon coup politique mais cela ne règle pas le problème. Or, je dis qu’il y a urgence. L’État doit enfin mettre les moyens pour éradiquer cette violence et arrêter d’ergoter ».

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